19-07-2020 23:15 - Khaled Moulaye Idriss : "L’art est la première arme de protection culturelle des peuples menacés d’acculturation"

Khaled Moulaye Idriss :

Horizons - Il dit delui-même qu’il a choisi l’art comme métier non pas pour se divertir mais comme voie d’apprentissage, de changement des mentalités et de sauvegarde de notre patrimoine culturel.

Les connaisseurs du domaine considèrent eux, que ses tableaux sont un concentré de sentiments colorés de formes très simples et variées mais très profondes. Il avait à ses débuts transformé les murs du quartier de l’Etat-major de la garde nationale où il a grandi, en tableaux innocents reflétant un don qu’il a commencé à découvrir d’abord avec la craie et le charbon. Il est sortant de la faculté des Lettres de Nouakchott avec une maitrise en sociologie.

Il a participé à beaucoup d’expositions en Mauritanie et à l’étranger. Il, c’est l’artiste-peintre et caricaturiste Khaled Moulaye Idriss. Le quotidien Chaab lui a accordé l’interview ci-après. Il nous fait découvrir davantage son art caricatural et donne son opinion sur plusieurs problématiques de l’heure.

Chaab : Pouvez-vous nous présenter Moulaye Idriss l’homme tout court et Moulaye Idriss l’artiste ?


KhaledOuld Moulaye Idriss : En général l’artiste aime le mystère qui est une dimension intégrale de sa personnalité. Mais l’artiste, c’est une personne libre qui fait apparaitre la réalité à travers un regard critique. Pour le reste, j’ai une maitrise en philosophie et en sociologie. Jai commencé à m’intéresser au dessin très tôt en dépit du fait que cet art manquait de supports pédagogiques. C’est pourquoi je faisais beaucoup de recherches pour l’apprendre. J’avançais par étape et chaque palier avait son apport propre.


Après mes études, je me suis rendu dans des pays africains, arabes et européens et à mon retour j’ai eu une récolte assez riche dans le domaine : j’ai beaucoup appris en art audiovisuel et caricatural. Ensuite, j’ai travaillé avec l’association de promotion des handicapés mentaux. C’est avec cette association que j’ai eu des bourses d’études au Sénégal, en Tunisie et au Maroc pour une formation en psychopédagogie. C’est ainsi que j’ai exercé avec les enfants handicapés mentaux. Quant à l’art caricatural, il a plusieurs définitions en fonction des académies, mais jepréfère vous livrer celle-ci : « c’est l’art de la communication et du transfert des expériences humaines dans leur dimension visuelle et culturelle ».


Chaab : Dans une société qui ne donne pas d’importance aux images et qui privilégie l’oral, quelle place peut avoir la caricature ?


« L’art caricatural va plus loin que les autres formes d’expression académiques »


Khaled Ould Moulaye Idriss : Je voudrais tout d’abord préciser que je suis un artiste avec plusieurs spécialités ; avec l’évolution démocratique, la liberté et les moyens d’expressions se sont développés. C’était une occasion pour moi de pratiquer de manière saine et éducative la caricature. J’ai ainsi travaillé avec beaucoup de journaux de la place comme Nouakchott- Akhbar et un journal spécialisé en environnement « Teydouma ». Mon choix de la caricature réside aussi dans le fait que c’est un art qui va plus loin que les formes d’expression académique. C’est un vrai art de communication qui atteint un vaste éventail de lecteurs.


Chaab : A quand remonte l’apparition de la caricature en Mauritanie et qui en sont les pionniers ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : La caricature est apparue en Mauritanie avec la naissance de l’Etat moderne. Ses pionniers, je ne me les rappelle pas maintenant mais ils exerçaient bel et bien cet art et j’ai eu à voir les œuvres de certains d’entre eux. Les années 70 ont été, elles, marquées par des noms d’artistes comme : Abdel Wedoud Jeilani, Mokhtar Ould El Bouchari. Leurs dessins représentaient les premiers balbutiements de l’art caricatural en Mauritanie.


Chaab : Est-ce qu’il existe actuellement des femmes caricaturistes en Mauritanie ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : Non, il n’y a pas encore de femme caricaturiste en Mauritanie. C’est un art qui demeure encore le monopole des hommes. Et cela est dû à mon avis à sa rugosité d’une part, et d’autre part à certaines contraintes sociétales. Même s’il y a des tentatives encore timides qui ne peuvent pas être considérées comme des caricatures proprement dites. Mais avec la percée de cet art dans notre pays, je n’exclus pas d’ici quelques années une présence de l’élément féminin.


Chaab : La caricature a-t-elle joué un rôle dans la lutte contre la pandémie du Covid 19 ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : A l’apparition de la maladie, nous avons conçu, avec la coopération du ministère de la Santé et de l’Organisation Mondiale de la Santé, beaucoup de dépliants qui ont été publiés à Nouakchott et dans les villes de l’intérieur. Et de nombreuses caricatures ont été faites pour contribuer à la sensibilisation contre la pandémie. Ces caricatures sont jusqu’à présent sur ma page facebook. Je peux donc dire que la caricature était bien présente dans la sensibilisation sur le coronavirus.


Chaab : Quels sont les caractéristiques propres au dessin de Khaled ?


« Des caricatures portant une empreinte purement mauritanienne »


Khaled Ould Moulaye Idriss : Les spécificités les plus marquantes de mon style de dessin résident dans le fait que je veille toujours à ce que mes caricatures portent une empreinte purement mauritanienne et en dépit du fait que notre culture est plus orale qu’audio-visuelle, mes dessins traitent certains aspects de notre culture en veillant à respecter les interdits, les us et coutumes de notre peuple. Même si l’art caricatural est un art qui transcende, casse tout et le livre sous une autre forme. Personnellement,j’ai toujours veillé à ce que mes tableaux soient en harmonie avec notre culture. Je rappelle que celle-ci a des dénominateurs communs aux plan culturel et dans la vie quotidienne avec d’autres peuples.


Chaab : On dit que le mystère est indissociable de l’art, ne pensez-vous pas que vos dessins sont plutôt d’un style direct qui les fait perdre leur beauté ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : En général l’art doit, dans une centaine mesure, porter une dose de mystère. Mais la caricature elle, a des objectifs tout à fait différents des autres arts visuels. En voulant mettre en évidence les aspects indicatifs, elle peut endommager la beauté du tableau : ces aspects indicatifs doivent être directs, percutants et expressifs car la caricature cible des franges différentes. C est pourquoi l’art caricaturale ne peut pas être entièrement couvert de mystère mais plutôt être direct et même superficiel dès fois.


« Le sens de l’image échappe aux élites qui méconnaissent notre culture authentique. »


Dans notre pays le sens de l’image échappe aux élites qui méconnaissent notre culture authentique. Que dire alors du commun des mauritaniens. C’est pourquoi au sujet du message de l’art, je peux, dès fois, avoir des opinions différentes avec les autres, tout comme on peut être quelquefois en phase, mais l’art caricatural doit être expressif, un tantinet provocateur, net, facile d’accès et abstractif à la fois. Malgré toutes ces caractéristiques, il exprime directement ou indirectement un état existentiel, politique ou sentimental de l’artiste car il repose sur ses propres spécificités culturelles dans le cadre desquelles, l’artiste traite les énigmes ou anomalies de la société.


Chaab : Est-ce que vous vous inspirez de notre patrimoine pour faire vos dessins ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : Notre patrimoine culturel et littéraire a toujours marqué mes œuvres. Et comme je l’ai déjà dit, il faut que les caricatures produites en Mauritanie portent les empreintes de notre patrimoine culturel. C’est ce qui leur confère leur authenticité. Au plan international la caricature mauritanienne, si je puis m’exprimer ainsi, a été connue à travers les motifs que je présente dans les salons au niveau mondial.


Chaab :Votre inspiration vient-elle de l’actualité, des préoccupations de la population ou tout simplement de manière fortuite ?


Khaled Ould Moulaye Idriss : L’inspiration du caricaturiste nait toujours d’une provocation, qu’elle soit politique ou éthique. Dans tous les cas, le caricaturiste ne se met à l’œuvre que quand le sujet l’intéresse.


Chaab: La presse sur papier est en perte de vitesse ces temps-ci et on sait que cette presse est le support de la caricature depuis son apparition dans notre pays. Cette situation a-t-elle eu des impacts négatifs sur cet art en Mauritanie ?


« La caricature s’est aujourd’hui libérée du support en papier pour migrer vers des espaces plus accueillants ».


KhaledOuld Moulaye Idriss : La presse sur papier a fait et continue de faire son temps mais le virtuel ou le numérique a gagné beaucoup de terrain. C’est pourquoi la caricature peut user de ce medium pour transmettre ses messages. Je veux parler notamment des sites électroniques qui sont légion aujourd’hui et qui diffusent la caricature et lui font atteindre son public. La caricature s’est aujourd’hui libérée du support en papier pour migrer vers des espaces plus accueillants.


Chaab : On dit que l’apparition des réseaux sociaux doit beaucoup à la caricature. Qu’en pensez-vous ?


KhaledOuld Moulaye Idriss : Je pense que c’est plutôt l’inverse. C’est la liberté d’expression due aux réseaux sociaux qui a donné une plus grande expansion à la caricature. De ce fait plus grande est la conscience de la nécessite de la liberté et du respect des droits, plus développés seront les moyens de communication. La caricature naturellement, en tant que moyen de communication, n’a pas échappé à cette règle.


Chaab : Quelles sont les expositions auxquelles vous avez pris part. Ces joutes ont-elles stimulé votre créativité ?


KhaledOuld Moulaye Idriss : J’ai participé à beaucoup d’expositions sur l’art plastique mais aussi à maintes autres portant sur les moyens de communication des personnes vivant avec un handicap et sur les dessins à vocation culturelle et de sensibilisation sur les dimensions du développement des peuples les moins équipés en matière d’éducation. Et je peux dire que beaucoup de perspectives se sont ouvertes à moi du fait de ces rencontres. J’ai pu, grâce à elles, mieux appréhender le rôle de l’artiste et du dessinateur dans la société et sa contribution possible dans l’évolution des mentalités dans tous les domaines du développement.


Chaab : En conclusion comment voyez-vous le rôle de l’artiste dans la société ?


« L’intellectuel mauritanien doit comprendre enfin que l’art graphique en général est un vrai baromètre d’évaluation du progrès des peuples »


Khaled Ould Moulaye idriss : Le rôle de l’artiste dans la société est un rôle à la fois, important et déterminant. Il convient à l’intellectuel mauritanien de comprendre enfin que l’art graphique en général est un vrai baromètre d’évaluation du progrès des peuples aux plans économique et culturel. L’art est aussi le réceptacle et la première arme de protection culturelle des peuples menacés d’acculturation. Et il est maintenant évident que du fait de la mondialisation, les peuples du tiers-monde vont vers une assimilation certaine et donc une perte de leurs valeurs de civilisation pour ne pas dire de leur identité.


Propos recueillis par : Sidi Moustapha Ould BELLALI






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Commentaires (1)

  • mystere1 (F) 20/07/2020 10:40 X

    Bravo l'artiste, et merci de défendre le nom de l'art en général, et en particulier celui plastique, qui n'est pas valorisé dans le pays, on sait que celui d'artisanal a plus de poids, cependant, le Ministre de la culture doit encourager et promouvoir les artistes en les soutenant afin qu'ils puissent bien mettre en valeur l'art en général, et en particulier culturel, qui est conciliateur et qui doit concilier les gens.