15-10-2023 18:40 - Secteur des pêches : quand les objectifs inavoués l’emportent sur ceux affichés

Secteur des pêches : quand les objectifs inavoués l’emportent sur ceux affichés

Deux grands objectifs fédérateurs constituent, depuis quelques années, la substance active autour de laquelle se construisent les stratégies visant à soigner le secteur des pêches et de l’économie maritime de son mal récurrent.

Il s’agit (1) de gérer durablement les ressources halieutiques nationales dans l’intérêt de la collectivité nationale et (2) de tirer le maximum de profits économiques et sociaux de l’exploitation de ces ressources.

Sur le plan théorique, les dernières stratégies sectorielles ont en effet toutes affiché ces grands objectifs et inscrits, en leur sein, de nombreux autres objectifs intermédiaires reflétant un sérieux souci tant pour la préservation de la ressource et son environnement que pour l’intégration des activités du secteur à l’économie nationale et la maximisation des retombées économiques et sociales de telles activités.

Ces objectifs généraux et spécifiques incontestablement pertinents et nobles affichés, sont malheureusement plutôt utilisés, dans la pratique, comme un fonds de commerce grâce à un dispositif réglementaire généralement évasif, plein de possibilités dérogatoires et peu ou mal appliqué. Dans cette situation, les premiers bénéficiaires sont les gestionnaires et les acteurs privés (nationaux et étrangers) ; l’Etat et les citoyens ordinaires ou malchanceux, étant les perdants comme c’est le cas d’ailleurs dans la plupart des autres secteurs.

Le présent article, est un cri d’alarme lancé à l’adresse du Président de la République Son Excellence Mohamed Cheikh Al-Ghazouani pour attirer son attention sur une situation où un petit faut pas de plus peut, au regard du contexte national, sous-régional et international, engendrer une catastrophe, déjà, potentiellement prévisible.

Serait-ce l’occasion pour nos journalistes spécialisés dans les investigations et le lancement des alertes d’enquêter sur ces propos, déclinés plus bas. Cette occasion, est offerte tant à ceux qui sont des professionnels et voudront sincèrement accomplir leur mission d’information que ceux qui trouveront là, plutôt, une opportunité pour m’incriminer ou monnayer les résultats de leurs travaux.

Les quelques constats qui suivent, sont mis à la disposition de la presse et de tout citoyen soucieux de défendre sa part d’un patrimoine halieutique national fortement menacé et qui serait, probablement aussi, engagé pour dissuader les malfaiteurs quels qu’ils soient et finir, à jamais, avec l’ère où les objectifs inavoués des stratégies sectorielles l’emportent sur ceux affichés.

Ces constats, choisis pour illustration, se rapportent uniquement à l’objectif de la gestion durable des ressources halieutiques nationales, sachant que la disponibilité pérenne des ressources, constitue l’enjeu principal pour le secteur et la Mauritanie tout entière :

 Les ressources halieutiques nationales, ne sont pas gérées sur la base des plans d’aménagement (et de gestion) comme le stipule l’article 14 (dernier alinéa) du code des pêche de 2015. Pourtant des plans sont souvent élaborés, mais avant de les mettre en œuvre, les données redeviennent chaque fois caduques et le processus de leur actualisation est repris au bonheur des consultants (mythe de Cisif).

 Le régime d’accès à la ressource, est injuste et décrié : le régime national en vigueur a, dans la pratique, perdu son sens en permettant aux étrangers d’en jouir et en engendrant ainsi des manques à gagner pour la partie mauritanienne. Le faut usage du statut de « Société de droit mauritanien », a permis aux navires affrétés (Turcs et autres), à ceux pêchant dans le cadre de conventions d’Etablissement (Polyhondone) et enfin aux navires avec actes provisoires de naturalisation de bénéficier illégalement des avantages que devrait accorder aux seuls Mauritaniens ledit régime national. Ce qui est ridicule et aberrant dans ce genre de faux montages, est le fait de voir un navire battre, aux yeux des responsables de la marine marchande, 2 pavillons différents (1 pavillon étranger et 1’autre mauritanien).

 Toutes les pêcheries -ou presque- sont surexploitées. Malgré cela, le surplus de l’effort de pêche augmente par fois au lieu de diminuer pour arriver progressivement à l’équilibre, c’est-à-dire l’adéquation entre l’effort de pêche autorisé/exercé et le potentiel pouvant être extrait (généralement par an) sans porter préjudice au renouvellement de la ressource.

 Le système d’allocation de la ressource, est opaque et injuste contrairement aux dispositions de l’article 25 du code des pêches : les droits d’usage tombent souvent dans les mains de personnes sans en avoir droit, les quotas sont toujours dépassés et les cahiers de charges associés, jamais respectés. Une simple opération d’évaluation des contrats de concessions établis depuis 2016, prouvera une volonté manifeste de brader nos ressources contre des intérêts égoïstes et une entente permanente sur ce sujet de la part de divers centres de l’échelle décisionnelle.

 La pêche exploratoire, est devenue une manœuvre malsaine et un autre mal qui s’apparente avec toutes les pratiques précédentes. Dans les faits, cette pêche exploratoire est détournée de son objectif pour devenir une façon de permettre, à un client privilégié, un accès à une ressource pour une période dont la longueur ne dépend que de la rentabilité de l’opération.

 La situation dans la filière de farine et huile de poisson, est aussi catastrophique en ce qui concerne d’un côté, son impact sur les ressources, notamment pélagiques et de l’autre, son caractère extraverti (activité sans valeur ajoutée, dominée par les étrangers, les Mauritaniens se réduisent généralement à des intermédiaires-commissionnaires).

 Les chantiers de construction navale, constituent une vraie menace pour toute initiative de limitation quantitative et qualitative de l’effort de pêche :

- Premièrement, la Société « Chantiers Navals de Mauritanie (CNM) » a dévié des missions pour lesquelles cette société a été créée. Quel que soit le prix de ses unités, celles-ci trouveront toujours un acquéreur pour les avantages d’avoir automatiquement un numéro d’immatriculation, une concession d’un droit d’usage et une possibilité d’accéder au fameux poulpe.

- Deuxièmement, l’Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou (AZFN), autorise l’installation de ce genre d’industrie sans concertation préalable avec le MPEM, responsable de la politique de gestion du patrimoine halieutique national.

- Troisièmement, des usines modernes et des charpentiers traditionnels inondent le marché d’outils de production, construits hors normes et sans autorisation préalable comme le dit l’article 8 du code des pêches de 2015.

Ces maux, sont aggravés par les navires (bateaux et embarcations) importés illicitement et par surtout le fait que les professionnels gardent déjà, dans leurs coffres, des numéros d’immatriculation acquis lors des précédentes campagnes d’immatriculation, organisées par l’Administration.

 Les possibilités de pêche accordées aux tiers dans le cadre des accords de pêche et assimilés, dérogent souvent aux dispositions des instruments de gestion responsables et durable d’une ressource renouvelable (Traité de Lisbonne, codes FAO, etc.).

 Les ressources halieutiques nationales, sont en danger au point qu’on risque bientôt d’entendre et de lire dans la presse « la Mauritanie était l’un des pays les plus riches au monde en ressources halieutiques ». Attention, la disparition de la seule espèce du poulpe, est aussi source potentielle de révolte des gens du secteur, voire d’un soulèvement populaire général et généralisé.

D’ores et déjà, je m’autorise à faire l’avocat de tous mes ministres de pêche et rappelle à Votre Excellence Monsieur le Président de la République trois principes, non écrits, mais qui, pourtant, ont toujours guidé et caractérisé l’action des gouvernements depuis l’avènement de la démocratie :

Principe 1 : Les reformes, puisqu’elles impliquent généralement des mesures impopulaires, sont tolérées uniquement durant les 3 premières années du mandat présidentiel ;

Principe 2 : durant la quatrième année du mandat présidentiel, les membres du gouvernement, y compris les plus zélés, doivent obligatoirement arrêter toute initiative de réforme et s’en tenir, au plus, à une application souple de la réglementation et a un respect des seules procédures administratives les plus généralement connues des usagers.

Principe 3 : Dans la cinquième année, la devise générale est « les institutions sont faites pour satisfaire les caprices et besoins, du court terme, des citoyens ». La transgression des textes, est permise et tout doit se faire sur la base du compromis, de la compromission, de la complaisance, de l’entente tacite, etc.

Aussi, il est alors de l’INSAF, Monsieur le Président de la République, de ne sanctionner pour les constats sus-cités que l’auteur de l’écrit, de maintenir le statu quo sur ces principes et de laisser alors votre actuel gouvernement, après l’avoir remanié, agir, jusqu’aux élections présidentielles prochaines, conformément au principe 3 ci-dessus.

D’ici aout 2024, vous disposeriez, Inchaallah, d’une constitution qui donnera certainement, a Votre Excellence, plus de pouvoirs pour diriger -et pour plus longtemps- le pays comme bon vous semblera. AMIN.

(À suivre)

Dr Sidi El Moctar TALEB HAMME





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