06-06-2025 11:11 - Au Sahel, les djihadistes intensifient leurs offensives contre les armés ces dernières semaines

TV5 Monde -- Raids sanglants au Mali, incursions dans de grandes villes au Burkina, lourdes pertes militaires au Niger : ces dernières semaines, les djihadistes ont intensifié leurs offensives contre les armées au Sahel.
Les dernières semaines ont été particulièrement meurtrières, avec plusieurs centaines de soldats tués dans diverses attaques revendiquées au Mali et au Burkina. Elles ont été perpétrées par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM, de son acronyme en arabe), affilié à Al-Qaïda, et au Niger par l'État islamique au Sahel (EIS).
Les régimes militaires des trois pays, qui avaient promis lors de leurs putschs de faire du retour de la sécurité une priorité, peinent à endiguer la progression des djihadistes, qui menacent plus que jamais le nord de certains pays côtiers du Golfe de Guinée.
Pourquoi cette intensification des attaques ?
"La vision globale du terrorisme régional est modifiée. Il y a une question idéologique mais aussi une question liée à l'ethnicité. Des chefs djihadistes ont affirmé en mars vouloir accélérer les attaques contre les armées nationales pour empêcher un génocide de la communauté peule", explique Lassina Diarra, directeur de l'Institut de recherche stratégique à l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme de Jacqueville (Côte d'Ivoire).
Les exactions des armées à l'encontre de civils - en particulier les Peuls, accusés de nourrir les rangs des djihadistes et souvent pris pour cible au Sahel - "exacerbent les ressentiments et favorisent l'expansion du JNIM", confirme le groupe de réflexion Soufan Center, dans une note qui pointe "une stratégie globale visant à dégrader la confiance du public envers les forces de l'État".
"Il y a aussi une question de compétition du contrôle de l'espace. Le JNIM accélère les attaques pour réduire l'influence de l'EIS qui revient sur le devant de la scène", explique à l'AFP Lassina Diarra.
Quelles sont les ambitions des djihadistes ?
Les objectifs du JNIM et de l'EIS sont différents. "L'EIS est dans un djihad global, avec la volonté d'instaurer un califat, l'application stricte de la charia, avec des approches brutales y compris contre les populations civiles. Le JNIM a une approche plus politique", explique Lassina Diarra.
Jusqu'à pouvoir prendre une capitale, voire de renverser un régime ? "C'est une stratégie de conquête territoriale qui précède la prise de pouvoir dans une capitale. Et cette fois, il n'y aura pas d'intervention étrangère pour sauver l'Afrique", s'inquiète un chercheur mauritanien.
"Bamako et Ouagadougou sont ceinturées. Vu la montée en puissance de ses capacités opérationnelles, le JNIM a la possibilité d'occuper une capitale, l'enjeu ce sera de l'administrer. Pas sûr qu'il dispose des moyens et de l'expertise en la matière", estime Lassina Diarra.
"Il faut se méfier des scénarios catastrophe. Cela reste difficile pour des groupes armés dont l'avantage principal est leur mobilité et leur capacité à bouger, à se mélanger aux populations", tempère Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi.
Selon une source militaire occidentale, "on ne peut pas écarter un scénario à la somalienne, au Burkina Faso, avec une capitale qui résiste et le reste du pays qui est hors de contrôle", affirme une source militaire occidentale.
Quelle est la réponse des États sahéliens ?
Les juntes arrivées au pouvoir par des coups d'État dans les trois pays entre 2020 et 2023 sont désormais réunies dans une confédération, l'Alliance des États du Sahel (AES). Elles ont tourné le dos au bloc ouest-africain de la Cedeao et aux puissances occidentales engagées dans la lutte anti-djihadiste. Les trois régimes communiquent rarement sur les attaques et assurent au contraire reconquérir de larges pans du territoire.
"Ce qui est préoccupant et ce qui déstabilise beaucoup les militaires, c’est l'utilisation par les groupes armés de drones, qui peut réduire voire annihiler l'avantage que les armées semblaient avoir pris ces derniers mois", avance Gilles Yabi. L'AES a annoncé en début d'année la formation d'une force conjointe de 5 000 hommes, et ses trois armées mènent des opérations ensemble.
"On ne peut pas dire qu'il n'y a pas du tout de résultats mais ils perdent beaucoup d'hommes, et c'est probablement en train de créer une inquiétude en termes de mobilisation des soldats", affirme Gilles Yabi.
"Il y a un cocktail de facteurs : des pouvoirs pas très solides, des trafics en tout genres, une explosion démographique, de la désinformation sur les réseaux sociaux, le retrait de l'aide américaine", explique la source militaire occidentale, qui craint un effondrement de la région.
La menace peut-elle descendre sur les pays côtiers ?
Les parties nord du Togo et du Bénin frontalières des pays sahéliens sont déjà régulièrement les cibles d'incursions violentes de djihadistes. Le Bénin a des relations tendues avec ses deux voisins, le Burkina et le Niger, qui l'accusent d'abriter des bases d'entraînement de djihadistes, ce que Cotonou nie.
"Le fait que le Bénin n'arrive pas à parler directement avec ses voisins et a donc du mal à sécuriser ses frontières renforce son état de vulnérabilité", souligne Lassina Diarra. Le JNIM cherche également à s'implanter au Sénégal et en Mauritanie, depuis le Mali, selon une étude du Timbuktu Institute, un centre d'études basé à Dakar.
Une menace prise au sérieux par le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko qui lors d'une visite à Ouagadougou en mai avait estimé qu'il était "illusoire" de penser que le djihadisme resterait cantonné au Sahel.
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TV5MONDE
avec AFP