13-06-2025 17:01 - Uranium en Mauritanie Du mirage extractif au pacte souverain / Par Mansour LY

Uranium en Mauritanie Du mirage extractif au pacte souverain / Par Mansour LY

Au nord du pays, dans le Tiris, le projet d’uranium porté par la société australienne Aura Energy suscite de l’espoir. Plusieurs centaines de millions de dollars d’investissements sont annoncés, avec une production estimée entre deux et quatre millions de livres d’uranium par an, ainsi que des emplois.

Tout semble indiquer l’ouverture d’un nouveau chapitre dans l’histoire économique du pays Mais une question persiste : sommes-nous en train d’ouvrir une mine, ou de poser les bases d’une véritable souveraineté.

Des avancées, mais une transparence encore insuffisante

Depuis l’adoption du Code minier en 2019, la Mauritanie a enregistré des progrès avec la publication du cadastre, l’audit des permis et l’adhésion à l’ITIE. Ces gestes restent toutefois limités s’ils ne s’inscrivent pas dans une dynamique plus profonde Il est temps de passer à un droit d’accès public effectif avec une publication lisible des permis et conventions, et une évaluation d’impact préalable publique et contradictoire. La transparence ne doit plus être un slogan. Elle est une condition de légitimité démocratique

Les leçons d’un passé extractif déséquilibré

Le pays a connu d’autres promesses avec le fer de la SNIM, l’or de Kinross ou encore la pêche industrielle. À chaque fois, la valeur ajoutée a été cédée, les retombées sont restées inégalement réparties et les zones minières marginalisées. L’uranium ne doit pas prolonger cette spirale. Il doit ouvrir un cycle nouveau, maîtrisé et équitable

Aura Energy, ambition forte mais modèle inchangé


Aura Energy annonce produire jusqu’à 4 millions de livres d’uranium par an pour 445 millions USD d’investissements et 160 millions USD de revenus espérés. Elle s’appuie sur des relais politiques, bénéficie d’un climat réglementaire favorable. Mais le modèle reste celui de l’extraction brute, sans transformation locale ni garde-fous juridiques solides. Aucun engagement obligatoire sur la formation, sur la redistribution ou la gouvernance commerciale

Des zones d’opacité persistantes

Sur le plan politique, ces contrats de très longue durée sont souvent signés en contexte d'asymétrie informationnelle, sans débat public ni évaluation sécuritaire indépendante. Sur le plan économique, on observe un double appauvrissement, exportation brute de la richesse, importation de produits transformés, et une dépendance accrue aux technologies et capitaux extérieurs. Kinross, dans l'or, nous l'a déjà montré : peu d'effet d'entraînement réel.

Sur le plan juridique, les enjeux de partage de rente, de transparence contractuelle, de contenu local et de répartition des risques sont écrasés par le poids de l'urgence financière et diplomatique. Rien n’oblige, pour l’instant, Aura Energy à transformer localement, à former massivement, ou à intégrer la Mauritanie dans la gouvernance des ventes.

Sur le plan stratégique, ce projet s’inscrit dans le modèle extractiviste que nombre de pays (Kazakhstan, Niger) tentent aujourd'hui de sortir. Pourquoi pas nous ?

Valoriser avec prudence mais sans lenteur

Il est possible d’avancer, même avec des moyens limités. Construire une unité pilote de traitement chimique, initier un système de binôme entre expert étranger et ingénieur national, amorcer un contenu local réel. Ces petits pas concrets permettraient une souveraineté par étapes. Repenser le partage de la rente

Un taux de bénéfice net modulable entre 45 et 50 %, indexé sur les résultats réels, pourrait redéfinir l’équilibre.

Un fonds souverain dédié aux générations futures, financé par l’uranium et orienté vers l’éducation, la recherche et la résilience, garantirait un héritage productif. Des clauses de révision automatique, tous les trois à cinq ans, permettraient d’ajuster le contrat aux retombées locales. Ces instruments offriraient lisibilité, adaptabilité et équité

Le droit existe, il faut l’activer


La Constitution mauritanienne consacre la souveraineté sur les ressources naturelles. Le Code minier autorise la révision des conventions. L’ITIE appelle à plus de transparence. Tout est là, mais reste sous-utilisé.

Dans les faits, l’État multiplie les concessions sans exigence. Il devient impératif d’adopter une posture plus affirmée, d’assurer une participation publique à la gouvernance commerciale, d’imposer des clauses de transformation locale, et de renforcer les capacités de négociation, de suivi et de régulation.

La Mauritanie ne peut plus se contenter d’un rôle passif

Nous devons cesser d'être des "bailleurs de sol" pour multinationales aventureuses. La Mauritanie ne peut plus se contenter d'être un gisement pour les autres. Elle doit devenir une puissance par elle-même.

Cela exige une refondation de nos relations contractuelles avec les multinationales, une doctrine de souveraineté industrielle, et surtout, une exigence populaire constante. L'extraction seule n'est jamais synonyme de développement. C'est la maîtrise du contrat qui transforme une ressource en destin.

Dans un échange sur les réseaux, un citoyen mauritanien de haute stature politique posait une question simple mais fondamentale "Que faire ?"

Et la reponse est : Renégocier. Exiger. Former. Et sinon, garder notre uranium. Car, le véritable enjeu n’est pas la mise en exploitation du gisement, mais la capacité à construire un modèle qui respecte nos ambitions, notre intelligence, et notre avenir.



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Source : Mansour LY
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