30-07-2025 11:54 - Marges de vérité: Au-delà des «maux »

Marges de vérité: Au-delà des «maux »

La Dépêche -- En Mauritanie chaque déclaration publique relève non d’une simple communication mais d’une mise en scène politique de haute facture, où l’on joue moins à dire qu’à faire croire. C’est dans ce théâtre que s’inscrit le message audio de Biram Dah Abeid du 28 juillet 2025 — un texte à la fois appel, réprimande, et allégeance cryptée — destiné officiellement à ses “maîtres” en militantisme, mais en réalité dirigé à l’orchestre occulte de la transition en cours.

Biram cite trois figures politiques: Lo Gourmo Abdoul, Mohamed Ould Maouloud, et Samba Thiam. Tous ont, à des degrés divers, porté un pan de l’opposition historique. Rien à redire sur leur parcours. Mais l’omission est ici plus bavarde que l’éloge. Trois silences fendent le message comme des crevasses :

Massoud Ould Boulkheir, signataire fondateur de la fameuse Lettre des Cinquante en 1991, véritable Acte I de l’expérience démocratique mauritanienne, père civil de l’ouverture pluraliste ;

Ahmed Ould Daddah, qui abdiqua une carrière prestigieuse à la Banque mondiale pour planter la graine d’une opposition intérieure à visage découvert dans les années 1990 ;

Et le Chef de l’Opposition Démocratique (COD), autorité institutionnelle et non-nommée, dont le silence programmé ici s’apparente à un effacement calculé.

Pourquoi donc ce tri sélectif de figures emblématiques ? Il faut ici quitter la surface de la parole pour sonder les abysses de l’intention.

Le cœur apparent du message est une question: Comment pouvez-vous, mes aînés, continuer à croire à un dialogue national, alors que le pouvoir vous humilie par la répression ?

Mais en réalité, la cible n’est pas le pouvoir : elle est double.

D’un côté, le président Ghazouani est évoqué indirectement, via la figure-pivot de son “porte parole politique”, le président du parti Insaf, dont Biram met en cause la duplicité.

De l’autre, les trois “maîtres” sont discrètement renvoyés à leur naïveté supposée : comment osez-vous prêcher la sérénité alors qu’on piétine vos principes sous vos yeux?

C’est là tout le paradoxe du discours de Biram : il ne rejette pas le dialogue, mais il sabote moralement ses promoteurs. Il ne combat pas frontalement le pouvoir, mais isole ses interlocuteurs en semant le doute sur leur sincérité. C’est une manœuvre d’extraction symbolique, une façon de se repositionner comme seul pôle légitime de la contestation, face à une opposition «coopérative », donc « compromise ».

Et c’est ici que le nom de Samba Thiam devient le révélateur. Samba n’est pas un acteur neutre dans ce triptyque. Il est lié organiquement à Biram, au point que toute prise de position publique de l’un implique nécessairement l’aval de l’autre. Cette complicité fusionnelle fait du message un jeu de miroir à deux faces :

D’un côté, Biram s’adresse à Samba comme à un pair dans la lutte historique ;

De l’autre, il le prend à témoin contre lui-même, le forçant à choisir : la loyauté envers le pouvoir ou la fidélité aux principes ?

Mais ce dilemme est un leurre. En réalité, Biram rappelle à Samba leur pacte originel : Tu ne peux pas franchir seul le Rubicon du dialogue sans moi.

En éludant Massoud et Daddah, Biram déterritorialise la mémoire de l’opposition: il la recentre sur un triptyque (Lo – Maouloud – Thiam) dans lequel il est le quatrième terme implicite. Ce faisant, il récuse la géographie classique des luttes démocratiques (Massoud = justice sociale, Daddah = souverainisme économique, COD = légitimité institutionnelle) pour imposer une lecture racialisée et radicalisée du rapport à l’État.

L’évocation des arrestations à Nouadhibou n’est donc pas un cri humaniste, mais un levier de délégitimation : vous ne pouvez plus croire au dialogue si des jeunes militants sont jetés en prison comme des criminels.

Ce message ne vise pas à construire un front. Il vise à démanteler les conditions de possibilité d’un front alternatif, en particulier celui que tente de constituer la frange modérée de l’opposition avec le pouvoir. Car si dialogue il doit y avoir, il ne peut advenir que sous l’hégémonie narrative de Biram — en tant que seul acteur à avoir souffert, crié, dénoncé, payé, et persisté.

C’est en cela que ce message est un manifeste d’exclusivité: tout dialogue qui s’opérera sans son aval n’est pas un dialogue. Il est trahison. Et tout acteur qui accepte de dialoguer devient complice, moralement disqualifié.

Le message du 28 juillet 2025 n’est pas un simple texte de protestation. C’est une opération politique d’orfèvrerie, où chaque mot pèse le poids d’un silence, chaque hommage cache une critique, chaque appel à la réflexion est une convocation à l’obéissance.

Biram, dans ce texte, se pose en chef spirituel entouré de disciples déchus, en voix solitaire de l’horizontalité citoyenne face à une opposition reconfigurée par le verticalisme du pouvoir.

Les intellectuels, s’ils veulent décrypter ce message, doivent lire au-delà du ton indigné, pour y voir un discours de monopole narratif : celui d’un homme qui refuse de partager la scène tant que les projecteurs ne sont pas centrés sur lui.

Mohamed Ould Echriv Echriv



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Commentaires (1)

  • Belphegor (H) 30/07/2025 13:05 X

    Cette analyse sur la personnalité de Biram et ses méthodes ne nous apprennent rien de nouveau en dehors de son audience d'idolâtres qui ne jurent que par lui et le voient toujours en "Messie du changement"...Il a toujours été fourbe, cupide, narcissique, arrogant et très imbu de sa petite personne comme son compère déchu l’ex-président Aziz. La gestion interne très autocratique de son parti devraient interpeller chacun sur ce qui adviendra de ce pays si jamais il arrive au pouvoir. Il n’est pour moi que l’autre face (hideuse) de la pièce du système qu’il prétend combattre.