30-07-2025 09:54 - Mauritanie – Trois semaines pour faire disparaître la mendicité : immersion au cœur d’une campagne nationale

Initiatives News - Nouakchott – Carrefour Touré. En cette matinée ensoleillée, le va-et-vient habituel des piétons contraste avec une scène désormais moins fréquente : les mendiants, figures familières des carrefours, semblent s’être volatilisés.
Le 21 juillet dernier, le gouvernement mauritanien a officiellement lancé une campagne nationale de lutte contre la mendicité, une opération d’envergure qui durera trois semaines et s’étend sur l’ensemble du territoire.
Objectif : vider les rues des mendiants et leur proposer des alternatives concrètes. Le dispositif prévoit le recensement des personnes en situation de mendicité, la création de projets générateurs de revenus, des formations professionnelles et la mise en place de centres d’hébergement pour les plus vulnérables.
Mais sur le terrain, cette campagne soulève autant d’espoirs que de tensions.
« Je n’ai pas les moyens de payer une amende pour être pauvre »
Au Carrefour Touré, une femme voilée observe les environs avec prudence. Fatimata Ly, sexagénaire, mendie depuis trois ans dans ce quartier animé. Son récit est celui d’une vie en marge :
« Nous sommes pauvres, nous n’avons rien à manger. Mon mari est décédé, je m’occupe seule des enfants. Je viens ici mendier pour acheter la ration, parfois je récolte jusqu’à 200 MRU par jour », confie-t-elle, les yeux baissés.
Mais la peur a remplacé l’habitude. Depuis quelques jours, les mendiants sont arrêtés et doivent s’acquitter d’une amende de 3000 MRU. Une somme inaccessible pour Fatimata :
« Je viens de rentrer et on m’a dit que tous les mendiants ont été raflés par les autorités. On ne peut pas payer cette amende. Alors on préfère rester à la maison. Être pauvre, ce n’est pas un crime », lâche-t-elle dans un soupir.
Les enfants-talibés, les oubliés du système ?
Autre scène, autre témoignage. À quelques rues de là , un groupe d’enfants vêtus de boubous délavés se glisse entre les voitures, tendant la main aux passants. Ce sont des élèves coraniques, appelés localement « almuuɓe », envoyés par leurs maîtres pour mendier.
L’un d’eux, âgé d’environ 10 ans, accepte de parler :
« Nous sommes venus ici pour mendier. On récolte du riz, du sucre, de l’argent… jusqu’à la prière du crépuscule. Chacun de nous doit rapporter au moins 60 MRU le matin et 40 MRU le soir. C’est ce que le maître nous demande. »
Ces enfants, contraints à la mendicité par ceux censés les éduquer, sont les grands absents de la réponse sociale envisagée par les autorités. Si la campagne retire les adultes de la rue, qu’en est-il de ces jeunes âmes contraintes à quémander leur survie ?
Une volonté politique affirmée, mais des défis de taille
Selon les autorités mauritaniennes, cette initiative vise à éradiquer la mendicité sous toutes ses formes et à transformer les bénéficiaires en acteurs économiques. Une ambition saluée, mais qui devra s’accompagner d’un accompagnement durable, d’un suivi social rigoureux, et surtout d’une approche humaine respectueuse de la dignité des plus démunis.
Car si la campagne a permis dès les premières heures le retrait de dizaines de mendiants dans les rues, elle laisse aussi planer des questions fondamentales : où sont-ils allés ? Quelle sera la suite après les trois semaines ? Et surtout, quelles alternatives concrètes leur seront offertes ?
Une urgence sociale à traiter autrement que par la répression
Ce que révèle cette opération, c’est moins la présence visible des mendiants que l’invisibilité de leur détresse. Derrière chaque main tendue, il y a une histoire, un drame, une urgence. Lutter contre la mendicité ne saurait se réduire à une évacuation des carrefours : il faut s’attaquer à ses racines – la pauvreté, l’exclusion, l’absence d’opportunités.
La campagne nationale contre la mendicité est en marche. Elle est saluée par certains, critiquée par d’autres. Mais une chose est sûre : elle ne réussira que si elle place l’humain au centre de ses priorités.
Reportage : Oumar Elhaj Thiam Jaayre – Pinal-JP
Nouakchott, juillet 2025