03-11-2025 00:45 - L’école mauritanienne : entre rhétorique officielle et délitement du réel

L’école mauritanienne : entre rhétorique officielle et délitement du réel

Lors du Forum africain périodique sur l’éducation tenu à Accra (République du Ghana) la semaine dernière, la ministre mauritanienne de l’Éducation, Houda Babah, a présenté la Mauritanie comme « en marche vers un modèle éducatif durable fondé sur la qualité, l’innovation et l’équité ». Elle a salué des « résultats encourageants » et la « cohérence renforcée des pratiques pédagogiques ».

Pourtant, cette vision optimiste se heurte aux réalités du terrain. Dans les écoles rurales comme urbaines, les élèves peinent à maîtriser les bases de la lecture et des mathématiques, les enseignants manquent de formation, et les infrastructures restent insuffisantes.

Les classes surchargées, les uniformes imposés et les pratiques de gestion déficientes illustrent un système où la rhétorique officielle masque des dysfonctionnements profonds.

1. Une scolarisation en hausse… mais une éducation en panne

Le RGPH 2023 de l’ANSADE (Agence nationale de la statistique, de l’analyse et de la démographie) révèle que 36 % des enfants âgés de 6 à 11 ans ne sont pas régulièrement scolarisés, et que le taux net de scolarisation au primaire stagne à 64,3 % (ANSADE, 2023). La parité filles-garçons masque de fortes disparités régionales : dans le Hodh El Gharbi et le Guidimakha, près d’une fille sur deux quitte l’école avant la 6e année (ANSADE, 2023).

La massification a entraîné des classes surpeuplées et un apprentissage limité. Dans certaines écoles rurales, un seul instituteur encadre jusqu’à 90 élèves, souvent sans table-banc ni manuels suffisants. Le scandale des tables-bancs surfacturées, rapporté dans les médias et confirmé par des audits internes du ministère, illustre la déconnexion entre budgets affichés et conditions réelles d’apprentissage (Banque mondiale, 2022).

2. Des apprentissages fragiles et des enseignants désarmés

Les résultats du PASEC 2019, confirmés par les enquêtes de 2023, classent la Mauritanie au 12e rang sur 14 pays africains francophones. Près de 70 % des élèves de fin de primaire n’atteignent pas le niveau minimal en lecture, et 82 % échouent en mathématiques (CONFEMEN, 2019).

Le corps enseignant est fragilisé : 60 % des instituteurs exercent sans diplôme pédagogique complet, et 45 % n’ont jamais bénéficié de formation continue (ANSADE, 2023). La plateforme numérique « Tenwir » ne touche que 3,8 % des écoles, faute de matériel et de formation, accentuant le fossé entre établissements urbains et ruraux (UNICEF Mauritanie, 2023).

3. L’uniforme obligatoire : symbole d’unité ou contrainte sociale ?

Depuis 2024, le port obligatoire de l’uniforme dans le primaire a été imposé pour renforcer l’unité nationale et concrétiser l’école républicaine. Mais dans un pays où 28 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté, cette mesure pose de réels obstacles à l’accès à l’école (UNICEF Mauritanie, 2023). Pour de nombreuses familles modestes, acheter l’uniforme devient un fardeau, et certains enfants sont exclus des classes pour non-conformité.

Alors que l’objectif est de promouvoir une éducation inclusive et de qualité, la mesure révèle un dilemme : comment concilier unité nationale et égalité d’accès pour tous les élèves, y compris ceux issus des Communautés Discriminées sur la base de l’Ascendance et du Travail (CDWD), souvent les plus vulnérables ?

4. Un système éducatif prisonnier des inégalités structurelles

L’école reflète les inégalités sociales et territoriales. 62 % des écoles rurales fonctionnent avec une seule classe multi-niveaux, souvent sans eau potable ni latrines (Banque mondiale, 2022). L’analphabétisme demeure élevé : 52 % chez les femmes adultes et 48 % chez les hommes (ANSADE, 2023). Les enfants issus des CDWD, des familles nomades ou des zones enclavées sont les plus marginalisés. Les insuffisances administratives et la mauvaise gouvernance accentuent ces inégalités (Banque mondiale, 2022 ; médias nationaux, 2023).

5. Les ODD à l’épreuve du terrain mauritanien

La Mauritanie a adhéré aux Objectifs de Développement Durable (ODD), mais leur concrétisation se heurte à des réalités sociales et territoriales complexes.

Pour l’ODD 4, sur une éducation inclusive et de qualité, plus des deux tiers des élèves de fin de primaire n’atteignent pas les compétences de base, et certaines classes rurales rassemblent jusqu’à 90 élèves avec un seul enseignant (PASEC 2019 ; ANSADE, 2023). L’apprentissage reste limité par le manque d’équipements et de ressources, affectant particulièrement les enfants issus des CDWD.

L’ODD 5, sur l’égalité des sexes, est fragilisé par les mariages précoces, les charges domestiques et l’absence d’infrastructures sanitaires adaptées pour les filles, qui quittent l’école avant la 6e année, perpétuant un cycle d’inégalités intergénérationnelles (UNICEF Mauritanie, 2023).

L’ODD 10, visant à réduire les inégalités, se heurte à la marginalisation des enfants issus de milieux défavorisés ou des CDWD, dont les chances d’achever le primaire sont deux fois moindres que celles des enfants urbains (ANSADE, 2023). L’uniforme obligatoire, la centralisation excessive et les classes pléthoriques traduisent une égalité administrative déconnectée de la réalité.

L’ODD 17, sur les partenariats pour l’éducation, est limité par une gouvernance centralisée qui restreint la participation des ONG, syndicats et collectivités locales (UNESCO, 2023). Les initiatives communautaires restent souvent les solutions les plus efficaces pour répondre aux besoins des élèves marginalisés, en particulier ceux issus des CDWD. Sans coopération réelle, les ODD restent des objectifs diplomatiques peu traduits en actions concrètes.

Ces constats montrent que la réalisation des ODD nécessite des politiques concrètes, adaptées aux réalités sociales et territoriales, capables de réduire les fractures historiques et structurelles.

6. Pour une refondation éducative réelle et durable

Décentraliser la gouvernance et renforcer le rôle de l’ANSADE et des collectivités.

Investir dans la formation continue et la requalification des enseignants.

Adapter l’uniforme à la réalité sociale par des subventions ou rendre la mesure facultative.

Combler la fracture numérique en équipant les écoles rurales et en formant les enseignants.

Créer un Observatoire citoyen de la qualité éducative regroupant chercheurs, syndicats et ONG.

Intégrer les droits des CDWD et l’équité territoriale dans toutes les politiques éducatives.

Conclusion

Le discours sur un « modèle éducatif durable » relève plus de la communication que de la réalité. Le système éducatif mauritanien reste sous-financé, inégal et mal coordonné, miné par les classes pléthoriques et les infrastructures déficientes.

La réforme doit dépasser la rhétorique pour garantir l’accès, la qualité et l’équité. Seule une approche intégrée, centrée sur les besoins réels des enfants et des communautés marginalisées, en particulier les CDWD, permettra à l’éducation de devenir un levier d’émancipation et de développement durable.

Par Cheikh Sidati Hamady,

Expert Senior en Droits des CDWD, Chercheur spécialiste des Discriminations structurelles,

Analyste,

Essayiste.

Le 02 Nov. 2025

Sources

ANSADE – RGPH 2023 : https://ansade.gov.mr

CONFEMEN – PASEC 2019 : https://www.confemen.org/pasec2019

UNICEF Mauritanie – Rapport éducation et protection des enfants 2023 : https://www.unicef.org/mauritania

Banque mondiale – Diagnostic du secteur de l’éducation 2022 : https://www.worldbank.org/fr/country/mauritania

UNESCO – Rapport mondial sur l’éducation 2023 : https://www.unesco.org/gem-report





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