18-07-2013 07:39 - Anniversaire: Ah, ça ira, ça ira, ça ira…
« De quelle bastille Le Calame était-il preneur ? » Découvrant la date de fondation du journal « Le Calame », le petit français que je suis n’a pas manqué de se poser cette question.
C’était il y a un peu plus de cinq ans. Je ne découvrais pas seulement la date de sa fondation – 14 juillet 1993 – mais « Le Calame » lui-même, après avoir accompli, peu de temps auparavant, mes premiers pas, en Mauritanie, dans le monde de la presse.
C’est assez du bout des lèvres, je dois dire, que j’avais accepté la proposition d’Ahmed d’intégrer son équipe. La presse, je n’en avais une guère bonne opinion.
Un jugement forgé à près de vingt-cinq ans de lecture, de moins en moins assidue, de la française, bien plus inféodée à la pensée unique et à la loi du marché – un quasi-pléonasme dont la rudesse ne manque, hélas pas, de sens – que ne le laissaient entendre ses rituels égosillements cocardiers. De fait, je n’avais plus ouvert la moindre feuille de chou depuis une bonne dizaine d’années, sinon en quelque occasion désœuvrée, presque par inadvertance.
Il n’était donc pas question que je participasse à la rédaction même du journal. Sa correction, oui. Cela me paraissait, même, la moindre des reconnaissances envers ma langue maternelle et mes maîtres attentionnés, grâce à qui j’avais le bonheur de m’exprimer précisément, que de contribuer, loin de ma terre natale, à la juste exposition des faits et des idées.
Mais rentrer dans leur débat mauritanien, moi l’étranger, frappé, de surcroît, d’une culturelle – mais non moins lourde – hérédité coloniale ? Jamais de la vie, disais-je alors. Ahmed n’insista guère, confiant en la force du temps et en la vitalité du Calame. Il avait raison.
Du temps, Il m’en fallut d’ailleurs bien peu, pour me sentir comme chez moi. Ce n’est pourtant pas tout simple d’intégrer un étranger, surtout quand celui-ci est chargé de corriger vos textes et qu’il a, pour lui, l’estampille de « l’origine », français de chez France ; toubab, à coup sûr ; hautain, peut-être.
Il y eut donc quelques petites frictions avant qu’on comprît que je n’étais ni l’un ni l’autre. Et la bonne volonté, de part et d’autre, les situa, ces étincelles, d’autant plus vite dans le strict ordre du professionnel que chacun nourrissait un même idéal de convivialité, universelle, transcendant les différences, sans jamais les nier. El pueblo unido jamas sera vencido (1).
Peuls, maures blancs, maures noirs, français : un vieux cocktail dont Le Calame entendrait tirer écriture commune – en y associant, au gré des opportunités, quelque épice soninké, wolof ou touarègue, voire bambara – de la réalité contemporaine en Mauritanie ?
C’est, en tout cas, son quotidien. Un forum, bien plus souvent qu’une arène, et c’est, en soi, déjà un heureux acquis où se construit, modestement parmi des milliers d’autres situations analogues, le mouvement d’un peuple, sa force, son pouvoir.
Chaque jour que Dieu fait, on discute, au Calame, zrig blanc, café au lait et chocolat noir. On y partage, tous, thé, arachide, biscuits ; on écoute, on recherche, on plaisante, on taquine, on argumente, on réfléchit, on médite, on écrit, enfin, puis chacun rentre chez lui, bien au chaud dans son cocon familial.
Mais, à l’arrivée, l’édition du mardi. Une sorte de petit miracle hebdomadaire où transparaissent les émotions, les soucis, les revendications, les déceptions et les espoirs de tout un peuple, dans toute sa diversité. Avec, toujours, cette priorité de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. A l’opposition, donc, mais pas seulement.
Chaque semaine, on voit, au Calame, de ces plaignants anonymes venus chercher – et trouver – une oreille attentive à leurs problèmes. Chaque semaine, le journal se fait l’écho de telle ou telle revendication, telle ou telle injustice, tel ou tel abus de pouvoir.
Mais pas seulement, non plus. Si les réalisations du président de la République n’y sont, ordinairement, qualifiées de « grandioses » qu’entre guillemets, ses thuriféraires trouvent, régulièrement, l’occasion de s’exprimer, sans aucune censure, via de longues interviews occupant plus de deux pages du journal, parfois. Oui, de la liberté d’expression à la fraternité, il y a bien quelque chose du 14 juillet français, dans la démarche du Calame.
Mais cela occulte-t-il le 24 Muharram 1414 ? Autrement dit, l’écriture hégirienne du 14 juillet 1993 ? Certainement pas et je dirais, même, bien au contraire : l’un vivifie l’autre et vice-versa. C’est d’ailleurs le constat objectif de cette a priori étonnante réciprocité qui m’a décidé, un jour, d’écrire moi-même dans les colonnes du journal.
Quelle que soit vigoureuse la référence de Habib Ould Mahfoud – le génial chroniqueur des Mauritanides et premier directeur du Calame, que Dieu lui fasse belle place au paradis de l’intelligence et du cœur, amine ! – à la démocratie des Lumières, c’est bien dans sa propre culture mauritanienne et, la couronnant, aux autrement lumineux principes de l’islam qu’il a puisé l’originalité de son discours et construit les fondations du ribât « Le Calame ».
Musulman de son temps, Mahfoud nous a engagés à y vivre, pleinement lucides, avec toutes nos qualités et histoires respectives, en toute liberté, en toute équité, en toute fraternité. En musulman, tout simplement, respectueux de tous et ne craignant que Dieu.
Certes, l’entreprise exigeait qu’on s’en prenne à une bastille : La Bastille des œillères bornées, des pleutres courbettes, des exclusions imbéciles. Voilà donc vingt ans que Le Calame s’emploie à en démonter les murs. Avec un certain succès, si j’en crois le nombre de ses assidus lecteurs, mauritaniens et, plus généralement, francophones. A vous tous, donc, merci de m’avoir permis de m’engager, durablement, en cette œuvre libératrice.
Profondément musulmane, elle est, avant tout et évidemment, profondément mauritanienne. Faut-il s’étonner que, ce faisant, elle soit aussi profondément française ? Pour moi, ce n’est pas le moindre des mérites de mes collègues du Calame de m’avoir aidé à découvrir cette brèche, formidable, dans ce qui s’acharne à nous diviser.
Alors, oui, ça ira, ça ira, ça ira, tôt ou tard. Mais, nous, au Calame, on ne pendra jamais personne : juste les barrières… C’est, soyez-en persuadés avec nous, largement plus efficace.
Ian Mansour de Grange
Note
1: « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». Au-delà du lyrisme, un peu simpliste, de la célèbre parole du chilien Sergio Ortega, c’est, tout simplement, le rappel de la force du partage quotidien entre les gens, le dynamisme même de la démocratie (le pouvoir du peuple, en grec).
Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité
