02-05-2014 15:55 - Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.

Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.

La fin de la monarchie et l’essor de l’islam au Kajoor, 1859-1890

Adrar-Info - Nous publions ce texte comme un hommage à notre collègue James F. Searing, historien nord-américain (University of Illinois at Chicago) qui a consacré sa vie à la recherche historique au Sénégal, en combinant la perspective anthropologique avec l’histoire orale et les travaux d’archives. Ses derniers travaux étaient centrés sur l’ethnicité et l’islam chez les Sereer-Safèn. Il est décédé le 4 décembre 2012 aux États-Unis.

Son œuvre reste fondamentale pour comprendre le passage de l’histoire ancienne à l’histoire influencée par la colonisation française au Sénégal et en Mauritanie. (Dr Mariella Villasante et Dr Raymond Taylor, avril 2014). Cette étude présente une nouvelle interprétation de la conquête coloniale française au Sénégal.

Je soutiens que toute la période de 1859 à 1886 correspond à une guerre civile wolof avec des forces loyales à la monarchie, combattant des musulmans [en wolof sëriñ] insurgés et déterminés à la réformer ou à la détruire. La guerre débuta avec une rébellion musulmane en 1859. La rébellion échoua, mais laissa la monarchie mutilée. En 1863, la première phase de la guerre civile se termina.

Les Français — impliqués dans le commerce des esclaves depuis le XVIIIe siècle—, prirent avantage au conflit, en plaçant un nouveau roi sur le trône du Kajoor, et en poussant les partisans de la dynastie Geej[1] vers l’exil. Le nouveau roi, le dammel Majoojo, avait juré soutenir les buts du parti musulman et il gouvernait pour les Français. Son règne s’acheva en 1865, au milieu de la pire famine du siècle. La première expérience avec un gouvernement colonial se termina par l’échec et le chaos.

La seconde phase de la guerre civile, de 1863 à 1869, coïncida avec une période d’insurrection musulmane dans toute la région. Elle était conduite par Jaxu Màbba [chef musulman] à partir d’une base dans le Saalum, au Sud. Les partisans de la dynastie Geej rejoignirent Màbba en tant que disciples et alliés. Demba War Sall [esclave royal, dernier gouvernant Wolof] conduisit les exilés à accepter cette alliance inhabituelle.

Il était le chef des esclaves royaux qui constituaient le cœur de la monarchie Geej basée sur la force. Lat Joor, le roi choisi par Demba War était un adolescent qui venait juste de rentrer dans la société des hommes. Ces deux hommes, d’abord comme alliés, puis comme rivaux, firent revivre la monarchie Geej en 1870, et dominèrent le Kajoor jusqu’en 1886. Demba War gouverna le Kajoor pour les Français jusqu’à sa mort en 1902.

Les loyalistes Geej comprenaient également des aristocrates importants, alarmés par l’intervention française et l’instabilité politique qui se développait dans toute la région. Leur succès était dû au crédit qu’ils avaient acquis auprès des musulmans combattant à côté de Màbba. Bien que des sceptiques pensassent qu’ils étaient plus intéressés dans les affaires de pillages que dans les affaires de religion. La troisième phase de la guerre civile commença avec le retour des exilés au pouvoir en 1870, qui suivaient des négociations avec les Français et avec le parti musulman au Kajoor. Le règne du dammel Lat Joor [1871 à 1883] fut important, avec des échecs et de succès impressionnants.

L’un de ces succès fut le développement de l’exportation d’arachide qui apporta la prospérité à la région. La majeure partie de cette croissance était alimentée par les aides de l’État du Kajoor. La dynastie Geej s’allia avec des puissants marchands de Saint-Louis et avec des esclaves issus des guerres récentes, qui furent déployés dans les plantations produisant les arachides. La paix et la prospérité constituaient un soutien important à la dynastie Geej.

Néanmoins, les échecs du Lat Joor débutèrent avec son incapacité à remporter le soutien du parti musulman. Une nouvelle série de conflits débuta en 1875, alors que le Kajoor était envahi par les musulmans du Jolof voisin, avec l’aide d’un parti important de musulmans du Kajoor. La victoire du jeune roi Lat Joor fut coûteuse, le laissant avec une importante dette politique vis-à-vis des Français et entraînant une séparation avec Demba War Sall. Lat Joor eut également à affronter à l’hostilité permanente de nombreux musulmans qui lui reprochaient la manière dont il exécutait ou mettait en esclavage ses ennemis défaits.

Dans la tradition mouride, on se souvient de 1875 comme une date clé à laquelle Amadou Bamba [chef politico-religieux de la confrérie mouride] devint un opposant à la monarchie [voir Searing, supra]. Lat Joor ne réussit pas à sécuriser son alliance pourtant si cruciale avec les Français, dont les demandes pour la mise en place de la voie ferrée devinrent insistantes depuis 1879. Les Français s’opposèrent à ses guerres contre le Bawol et le Jolof.

Il fut chassé du pouvoir par Demba War Sall en 1883, remplacé brièvement par un autre roi, avant que Demba War Sall ne prenne sa place en faisant du même coup allégeance au gouvernement colonial français. Bien que Demba War Sall fut un esclave royal, on pense à lui davantage comme un représentant de la classe des propriétaires d’esclaves dont il défendit, avec constance, les intérêts. Il n’était pas un ennemi de l’islam, mais pensait que Lat Joor était allé trop loin en apaisant le parti musulman.

Il était vigilant vis-à-vis des musulmans dont il redoutait le pouvoir de la base, et il apporta son soutien à l’attaque contre l’islam mouride de 1885. Lorsque les Français optèrent pour Demba War Sall — pour satisfaire leur quête d’une hégémonie « à peu de frais », pour reprendre le mot de Sara Berry[2] (1993) —, ils attelèrent le régime colonial à une charrette qui transportait des bagages considérables. Tout au long de la guerre civile, une plainte constante était que la monarchie était dominée par une famille aristocratique, les Geej, et leurs alliés, en particulier leurs esclaves royaux (jaami-Geej).

En s’attachant aux mêmes pouvoirs de base, l’État colonial français héritait d’une opposition à un régime profondément associé à l’esclavage (interne) et à la traite. Au cours de la guerre civile, les termes du débat sur l’islam et la monarchie se transformèrent. J’ai été particulièrement attentif au débat sur le jihâd tel qu’il est décrit dans les sources wolof. Des nombreux espoirs issus de la rébellion de 1859 disparurent avec la mort de Njugu Lo, qui portait le titre de Sëriñ Luuga. Il fut tué au cours de la première bataille.

Que ce serait-il passé dans le Nord du Nigeria si Usuman dan Fodio aurait été tué au cours de sa première confrontation avec Gobir ?[3] Après l’échec de la rébellion, les espoirs des musulmans se focalisèrent sur une série de chefs régionaux qui déclenchèrent la guerre sainte contre le gouvernement ceddo [esclaves des aristocrates[4]] et empiétèrent sur le pouvoir des Français. Cependant, la signification du jihâd commençait à changer lorsque des aristocrates comme Lat Joor rejoignirent la cause des militants de l’islam. Dans les années 1880, il y a de signes qui traduisent le fait que de nombreux musulmans avaient perdu la foi dans le jihâd comme un moyen de revitaliser l’islam.

Cette évolution permit l’émergence d’un nouvel ordre soufi [sûfî, ordre mystique musulman] qui dominera les réponses wolof au gouvernement colonial français. La période de guerre civile fut importante car elle façonna l’histoire du gouvernement colonial. Les officiers coloniaux Français croyaient qu’une nouvelle ère de pouvoir européen avait commencé. Mais rien ne put empêcher les conséquences de l’alliance des Français et des esclaves royaux du Kajoor, qui construisirent la compréhension des Wolof de l’autorité coloniale.

La rébellion musulmane de 1859 : un échec qui marqua un tournant historique au Kajoor

En novembre 1859, la province de Njambur, centre historique de l’islam, où les musulmans (sëriñ) contrôlaient les taxes foncières et les terres depuis le XVIIIe siècle (Searing 2002 : 21), entra en rébellion contre la dynastie Geej. Les rebelles, dirigés par Sëriñ Kokki et Samba Maram Xayy, firent courir le bruit que la rébellion avait le soutien des Français et qu’elle recevrait de l’aide militaire. Leur tactique réussit à convaincre d’autres chefs musulmans à rejoindre le mouvement.

Leur plus important allié était Sëriñ Luuga, qui était le chef musulman le plus influent à cette période[5]. Il fut tué alors qu’il dirigeait une charge contre l’armée du Kajoor le 25 décembre 1859. La mort de Sëriñ Luuga marqua un tournant pour les rebelles dont les forces militaires se dispersèrent dans la confusion. À la fin 1859, entre quatre et cinq mille réfugiés trouvaient asile dans le territoire contrôlé par les Français le long du Fleuve Sénégal. Les ceddo victorieux brûlèrent des douzaines de villages musulmans à Njambur. Des greniers remplis de la dernière récolte de mil et d’arachide furent également brûlés[6].

Les autorités françaises à Saint-Louis, qui ne bougèrent pas alors que leurs « alliés » subissaient une humiliante défaite, usèrent de leur influence pour faire en sorte que les réfugiés soient autorisés à rentrer chez eux. La rébellion de 1859 fut un échec, mais marqua un changement dans l’histoire du Kajoor. Elle avait révélé les divisions du corps politique du Kajoor et à la suite de celle-ci, ces divisions perdurèrent comme une plaie béante. Une analyse de ce mouvement peut commencer avec le portrait des principaux conspirateurs et des factions qu’ils représentaient, mais elle doit également considérer le rôle politique joué par les Français et les motivations des hommes de troupes des forces rebelles.

La défaite de la rébellion de 1859 et le triomphe de la dynastie Geej et de leurs ceddo

Les chefs de la rébellion constituaient une coalition de rivaux dynastiques du gouvernement geej conduit par Samba Maram Xaay et des chefs de la communauté musulmane[7] représentée par Sëriñ Kokki. Samba était le chef d’un groupe de notables qui désirait remplacer la dynastie Geej par un roi de la lignée royale matrilinéaire Dorobé. Aucun roi Dorobbé n’avait gouverné depuis cent ans au Kajoor, mais un prétendant, Maajoojo Dégén Koddu Faal, avait remporté l’ensemble des soutiens en promettant de positions de pouvoir à des familles importantes qui s’étaient aliéné l’autorité geej.

Samba avait hérité la chefferie de la faction de Maajoojo après que son frère eut péri dans l’échec du coup d’État de 1857. Les partisans de Maajoojo étaient ouvertement pro français, ils correspondirent avec le Gouverneur général de l’Afrique occidentale française, Léon Faidherbe, en lui promettant que les Français pouvaient obtenir toutes les concessions qu’ils désiraient de la part de Maajoojo.

En termes concrets, cela signifiait la permission de construire une ligne télégraphique entre Saint-Louis et Dakar. L’aide des musulmans à la rébellion avait des racines plus complexes et était plus ambiguë du point de vue politique. Sëriñ Kokki agissait comme un intermédiaire entre les partisans de Maajoojo et les musulmans, il acceptait également les implications de l’alliance Dorobé. La dissidence musulmane à Njambur s’enracinait profondément dans le conflit culturel entre les ceddo [esclaves-soldats et administrateurs] et les sëriñ [musulmans[8]].

Les musulmans décrivaient la dynastie Geej comme « anti-islamique », un régime d’aristocrates ivrognes et de guerriers qui pillaient et mettaient en esclavage la population[9]. Ils voulaient un gouvernement qui refléterait les valeurs islamiques. D’un autre côté, les musulmans de Njambur ne déclarèrent pas un jihâd total, et les chefs de la rébellion semblaient penser qu’ils pouvaient atteindre leur but avec le soutien de la nouvelle dynastie dirigée par Maajoojo Faal.

Sous le nouveau régime, la province de Njambur aurait acquis sa complète autonomie sous la direction des sëriñ. Le visage officiel du parti musulman représenté par Sëriñ Kokki aurait pu cacher des intentions politiques plus radicales. Au cours de la rébellion militaire, Sëriñ Luuga joua un rôle crucial. Il rassembla une fédération de villages centrée autour de Luuga. Les Français estimèrent qu’au pic de la rébellion, les musulmans disposaient de deux mille hommes en armes, tous équipés avec de fusils (Ba 1976 : 247).

La plupart de rebelles étaient des paysans musulmans libres [baadolo] du Nord du Kajoor. Les Français pensaient que des nombreux rebelles étaient des immigrants du Waalo [région située au Nord du Kajoor, dont l’occupation s’acheva en 1855], qui s’étaient installés au Kajoor durant les crises économiques et les guerres qui avaient eu lieu le long de la vallée du Fleuve Sénégal (Ba 1976 : 233-235 ; Searing 1993 : 172-173). Les paysans musulmans du Nord du Kajoor et du Waalo rejoignirent la rébellion contre le gouvernement aristocratique dans les années 1790 et 1830. Si la rébellion avait réussi, il est douteux de penser que le mouvement populaire se serait satisfait d’un changement de régime donnant le pouvoir à Maajoojo Faal et à Samba Maram Xaay.

Après la défaite des musulmans, nombre d’entre eux blâmèrent Samba pour s’être trompé sur l’aide des Français. Au cours de la rébellion, des rumeurs sur la mort du dammel [roi] Birama diffusèrent dans tout le Kajoor. Les Français donnèrent suffisamment de crédit à cette nouvelle pour publier un article sur cette mort dans leur journal officiel (Moniteur du Sénégal et dépendances, le 13 décembre 1859, Ba 1976 : 218). Lorsqu’on apprit que le dammel était en vie, le Gouverneur Faidherbe lui écrivit le 18 décembre en lui avertissant que « l’eau-de-vie pourrait lui tuer rapidement » (Ba 1976 : 224).

Les Français étaient convaincus que le jeune dammel, qui avait une vingtaine d’années, était en train de se perdre dans l’alcool ; cette infirmité du dammel n’aidait pas les rebelles. Son père, Makkodu, leva une armée durant la campagne. Moins d’un mois après la défaite de la rébellion, le jeune Birama décédait. Alors que la monarchie triomphait en 1859, les coups politiques étaient particulièrement élevés. Le jeune roi de la dynastie régnante était mort sans laisser de successeur au pouvoir geej.

Son père, qui avait aidé à l’organisation de la victoire, n’était pas éligible pour gouverner le Kajoor parce qu’il appartenait à un groupe de parenté matrilinéaire différent de celui de son fils. Néanmoins, l’interrègne de Makkodu eut le soutien des officiels de l’État et des esclaves royaux du Kajoor. Le règne de Makkodu fut un expédient temporaire, mais il aurait pu durer plus longtemps si Makkodu avait été capable de trouver un accord avec les Français.

A suivre…/

James F. Searing University of Illinois at Chicago . Traduit de l’Anglais par Christophe de Beauvais. Publié dans Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel.Sous la direction de Mariella Villasante Cervello, Paris, L’Harmattan, 2007, vol. I : 391-438.

[1] La dynastie Geej émergea au Bawol au XVIIe siècle (en wolof « geej » signifie « mer » ou « océan », c’était donc une « dynastie atlantique »). Elle conquis le Kajoor à la fin du XVIIe siècle, et gouverna les deux royaumes pendant près d’un siècle et demi. Les Geej retracent leur descendance en lignée matrilinéaire, à partir de la mère du roi unificateur du Kajoor et du Bawol, Latsukaabe Faal. Le gouvernement de la dynastie Geej fut marqué par la traite atlantique d’esclaves, par les contacts avec les Européens et par l’expansion de l’islam. L’innovation la plus importante de cette dynastie fut l’introduction des armes à feu, placées aux mains des esclaves royaux (jaami buur).

La création d’une armée d’esclaves s’accompagna de l’augmentation des responsabilités des esclaves dans l’administration, les ceddo, esclaves-guerriers et administrateurs des provinces, dont le rôle devint central dans la politique des Geej jusqu’à la fin de la monarchie entre 1890 et 1904 (Searing, West African Slavery and Atlantic Commerce. The Senegal River Valley, 1700-1860, Cambridge University Press, 1993 : 1-26. Voir aussi Searing 2002 : 3-27, 269).

[2] Voir le chapitre qui porte ce titre dans le livre de Sara Berrry, No condition is Permanent. The social consequences of Agrarian Change in Sub-saharan Africa, Madison, 1993.

[3] Usuman dan Fodio était le chef spirituel du jihâd qui établit le Califat du Sokoto au Nigeria. Sur sa vie et ses activités voir Mervyn Hiskett, The Sword of Truth : The Life and Times of the Shehu Usuman dan Fodio, 2e éd., Evanston, Northwestern University Press, 1994. [J. Searing, communication personnelle, mai 2006. Nde].

[4] [Le terme « ceddo » désignait les partisans de l’ancien régime aristocratique wolof, en particulier les membres de la cour royale et les esclaves-soldats ; les ceddo n’étaient pas le parti des « païens », comme l’affirmaient les musulmans, mais le parti de l’aristocratie.

Cependant, la connotation de « non-croyant » ou de « païen » est couramment associée au terme ceddo ; or cette association a moins de rapports avec les croyances religieuses qu’avec l’attachement aux coutumes ancestrales défendues par la monarchie wolof (les aristocrates aimaient consommer l’alcool et la bonne chère, faire la chasse, être entretenus par la musique et la danse des bardes, et conservaient un régime d’héritage dynastique matrilinéaire).

Au cours du XVIIIe et du XIXe siècles, l’héritage matrilinéaire devint essentiel à la survie du pouvoir dynastique ; une partie essentielle de cet héritage était constituée par la loyauté des esclaves royaux, les ceddo. Ainsi, les ceddo de la dynastie Geej symbolisaient l’importance de ce fait ; ils devinrent les arbitres du pouvoir royal et les symboles de l’État lui-même (Searing 2002 : 7, voir aussi 9-18, et la chapitre 5 consacré à l’évolution de l’esclavage entre 1890 et 1905, Slavery under siege : 143-193). Nde].

[5] Moniteur du Sénégal et dépendances 1, 39, le 23 décembre 1856. Sëriñ Luuga était issu de la très influente famille Lo.

[6] Ba, La pénétration française au Cayor, Dakar, 1976 : 213-233.

[7] À cette époque, l’organisation de l’islam était territoriale, avec un chef attitré dans chaque village musulman autonome. Ainsi, Sëriñ Luuga représentait son village (Louga), Sëriñ Kokki représentait le village de Kokki, etc. [J. Searing, communication personnelle, mai 2006. Nde].

[8] [L’islamisation des royaumes wolof conduisit à l’émergence d’une nouvelle classe d’intellectuels, nommés en wolof « sëriñ si » ; ils étaient des maîtres du coran mais leur influence s’étendit au champ politique, et ils devinrent suffisamment importants pour représenter, dès la fin du XVIIe siècle, un contre-pouvoir à la monarchie. L’islam fut encouragé par la monarchie wolof car il s’opposait aux croyances locales — fondées sur le « pouvoir des esprits » par exemple chez les Sereer, qui refusaient la soumission aux rois Wolof, et rejetaient l’islam.

Au XVIIIe siècle, le dammel du Kajoor et teeñ du Bawol Latsukaabe Faal, fondateur de la dynastie Geej, créa un nouveau groupe de « musulmans attitrés » qui étaient reconnus comme érudits et comme chefs de leurs villages, désignés sous l’appellation sëriñu-làmb (littéralement « religieux du tambour »). Ils étaient appelés par un terme qui associait leur statut d’érudits (sëriñ) au nom du village mis sous leur commandement (i.e. Sëriñ Luuga).

Ces personnages avaient des responsabilités précises, dont l’aide à la défense des territoires et un rôle d’intermédiation entre la monarchie et leurs communautés. En échange, la monarchie leur attribuait des domaines terriens et leur confiait l’administration politique des populations qui y habitaient. Ce système était développé en particulier dans le Nord du Kajoor, dans la province de Njambur, centre historique de l’islam, proche du Waalo, dans la vallée du Fleuve Sénégal. Dans les autres régions du Kajoor la monarchie contrôlait la plupart de terres et des populations (Searing 2002 : 21-22). Nde.]

[9] [On peut établir ici un parallèle intéressant avec la situation sociale et politique qui prévalait chez les voisins Bidân des Wolof, habitant dans la région du Fleuve Sénégal et plus au Nord, au cours des XVIIIe-XIXe siècle. Les groupes guerriers (‘arab, hassân) qui dominaient politiquement, étaient accusés par les groupes religieux musulmans (zwâya, tolba) de ne pas être des « bons musulmans », d’extorquer des tributs injustes aux « pacifiques religieux » et de piller leurs biens, leurs troupeaux et leurs esclaves.

Comme les groupes sëriñ chez les Wolof, les groupes religieux de la société bidân possédaient des esclaves (obtenus par achat, par héritage ou par razzia) et étaient impliqués dans le commerce esclavagiste transsaharien. Voir Taylor, Langage, supra ; McDougall, supra ; Villasante Cervello, Producteurs, supra ; et El-Bara, supra. Nde].


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