01-11-2015 00:45 - Disparition de Djibril Hamet Ly

Disparition de Djibril Hamet Ly

RMI Biladi - Les arts et lettres mauritaniens sont en deuil. Le Poète et dramaturge mauritanien Djibril Hamet Ly s’est éteint dans la nuit du vendredi 16 octobre 2015, au Canada, alors qu‘il participait au congrès de Pen International, une ONG de défense des écrivains et de la liberté d‘expression.. Cet ancien inspecteur de l´enseignement et militant des langues nationales fut aussi un grand combattant des libertés.

Membre fondateur des Forces de Libération africaines de Mauritanie(FLAM), Ly fut le premier président élu du mouvement jusqu´à son arrestation en septembre 1986 suite à la publication du Manifeste du Négro-mauritanien opprimé.

Arrêté et condamné à 5 ans de prison ferme, il sera détenu à la prison mouroir de Oualata, en compagnie de Tène Youssouf Guèye et Djigo Tafsirou entre autres. « Il me disait que c’est grâce à l’écriture qu’il n’est pas devenu fou parce qu’il faut regarder les heures passer ; les jours passer et il n’a pas perdu espoir malgré la souffrance, malgré l’absurdité de ce temps de bagne.

Il a commencé à écrire et depuis, il n’a jamais pu arrêter. Il écrivait comme on respire. C’est un de nos plus grands intellectuels, un de nos plus grands artistes et un de nos plus grands humanistes qui est parti », confie, à RFI, Mariem Mint Derwich.

Djibril Ly se consacre à la poésie, mais aussi au théâtre. Il crée une école, Diamly, à Sebkha qui donne une large place aux langues nationales et aux arts. « C’était quelqu’un qui se battait pour l’apprentissage des langues nationales, pour un apprentissage croisé et qui refusait cette Mauritanie unilingue, "unicolore" comme on dit.

Il s’est battu pour que tous les Mauritaniens, "toutes les Mauritanies" comme il disait, puissent se parler. Il s’est battu pour que les gens apprennent ; pour que les gens se reconnaissent comme fils et filles de ce pays-là. Il disait :"Nous habitons ensemble. Il faut bien que nous apprenions à vivre ensemble mieux, dans le respect des droits de chacun et dans le respect des spécificités aussi de chacun" »
, ajoute Mariem Mint Derwich.

Militant infatigable, sa dernière pièce, L‘arbre à la cour criminelle, était un émouvant plaidoyer pour la défense de l‘environnement.

« J’ai perdu un frère »

Natif de Lobbudu (Daarel Barka), Djibril Hamet Ly qui fut aussi la muse de Baaba Maal, est auteur de plusieurs pièces de théâtre dont "L’arbre à la cour criminelle". Ly Djibril s’en va à l‘âge de 69 ans. «Notre pays perd une de ses grandes voix, une de ses plus belles plumes, une conscience politique....».

Après une prière aux morts , ce dimanche 25 octobre, à la mosquée Ibn Abbas de Nouakchott , cet intellectuel aux multiples facettes , a été inhumé chez lui à Loboudou.

Son ancien geôlier , le Colonel à la retraite Oumar Ould Beibacar lui a rendu un vibrant hommage en le décrivant comme : « un humaniste hors pair, il avait déjà pardonné à tous ceux qui avaient brisé sa carrière, à tous ceux qui l’avaient condamné arbitrairement pour un délit d’opinion, à 5ans de prison ferme transformés par ses geôliers à 5 ans de réclusion criminelle avec travaux forcés, au motif d’avoir dénoncé dans le manifeste du négro-mauritanien opprimé en 1986, des injustices flagrantes, avec les FLAM dont il était le premier président.

Il avait déjà pardonné à tous ceux qui l’avaient enchainé, torturé, humilié et parfois empêché de faire ses prières. Il avait tout pardonné parc qu’il était très pieux et parc qu’il savait très bien ce que valait le pardon d’une victime devant le tout puissant. Puisse le tout puissant exaucer ses prières et l’accueillir dans son paradis.

J’ai perdu un frère, j’ai perdu un ami, j’ai surtout perdu un confident. Je lui faisais souvent des confidences, quand je voulais libérer ma conscience, dont voici celle qui l’avait le plus ému, datée du 9 fevrier 2010 »
. Poursuivant, il écrit « Mon cher DJibril toutes les souffrances de walata n’étaient qu’une promenade de santé à côté de ce qui s’est passé à Inal à azlat et à jreida. C’était pire que l’Holocauste.

On doit inventer le qualificatif. Le pularicide ou le tekrouricide ou le Haalpulaaricide ou le foutankobécide qui veut dire l’extermination des toucouleurs. Il faut nécessairement que l’histoire mémorise l’horreur.

Tu as sans doute entendu le témoignage des survivants de ces enfers, moi j’ai entendu en plus celui des bourreaux, il a plus de résonnance et dénote de toute la cruauté et de la folie de ces instants maudits.

Mon cher ami nous sommes tous coupables puisque nous sommes témoins et qu’on n’a été incapables de réparer tous ces préjudices et de contribuer à tourner la page. Pour que notre peuple retrouve son unité, sa quiétude, sa sérénité sa dignité et sa fierté pour le bien être de tous. Qu’Allah nous pardonne et protège notre chère Mauritanie.

Très fraternellement. « Il ne faut pas nous oublié dans le sable. », termine le colonel Ould Beibacar

Ly Djibril Hamet était un homme pondéré, avenant sans être exubérant

Autre hommage appuyé celui de son ancien pensionnaire à Oualata, Alassane Boye constate amèrement: « Ly Djibril Hamet est parti. Il faisait partie des 68 locataires (civils et militaires) du Fort-mouroir de Oualata.

Il est allé rejoindre ses huit compagnons, rescapés du bagne de Oualata : Sy Bocar, Moussa Ly, Toumbo Haby, Ibrahima Kassoum Bâ, Saïdou Kane, Mamadou Oumar Sy dit Saghirou, Abdoulaye Kebe Hachem et Gorgui Sarr. (J’espère ne pas en avoir oublié).

Tous sont partis rejoindre leurs quatre camarades de détention morts eux à Oualata/Néma : Alassane Oumar Bâ, Ten Youssouf Gueye, Djigo Tabssirou et Bâ Abdoul Khoudous. Ainsi va le monde. Toute vie a une fin. Cette fin, la mort, le moment venu, nul n’y échappera. Là réside la certitude. Quand ? Où ? Comment interviendra-t-elle ? Là se situe le mystère.

Que restera-t-il de nos larmes pour pleurer les êtres chers disparus, parents, compagnons et amis avec lesquels nous avions partagé des moments de rires et de pleurs, des instants de joie, des épreuves douloureuses avant que n’arrive notre heure ? Jusqu’à quand nous restera-t-il de forces et de lucidité pour leur rendre hommage, pour nous recueillir devant leur tombe et prier pour le repos de leur âme ? Voilà qui devrait nous convier à plus d’humilité, plus de retenue…

Ly Djibril Hamet disparaît le 16 octobre 2015. C’est-à-dire 18 mois après s’être rendu à Oualata et à Néma, en ta compagnie, pour se recueillir et prier sur les tombes de ses quatre compagnons de détention morts en prison. Voyage prémonitoire ? Ultime geste pour honorer un engagement tacite, à l’égard de ses compagnons morts, avant l’instant fatidique pressenti ?

Ce voyage de recueillement restera sans doute l’un de ses actes forts qui témoignent de l’accomplissement d’un devoir de mémoire, et au-delà, de son engagement pour une Mauritanie juste et égalitaire, d’une fidélité à des convictions, à des amis et compagnons disparus.

Ly Djibril Hamet était un homme pondéré, calme, réfléchi, avenant sans être exubérant. Il n’était pas celui à qui on demande de « répéter ce qu’il avait dit », traduction de l’expression pulaar utilisée pour caractériser un fabulateur , un menteur : « haaltu ko kaalnoɗa ».

Il était un passionné de la langue pulaar, objet de ses recherches même en prison, et qu’il enseignait dans notre prison d’Aïoun. Telle est l’image que je garde de Ly Djibril Hamet comme détenu. C’est ce que confirme ton témoignage sincère et poignant, Oumar.

Dans un environnement national où la vertu disparaît de plus en plus, où le vice se répand chaque jour ; dans un contexte politique explosif où le pays cherche à construire son vivre-ensemble, où la réalité du vécu des pensionnaires du Fort-mouroir de Oualata est prostituée sans vergogne par certains, la voix authentique, sincère, cohérente et crédible de Ly Djibril Hamet nous manquera.

Mon cher Oumar Ould Beibacar
Que Ly Djibril Hamet ait été ton ami, ton frère et confident, c’était l’évidence même, dont toi, moi et bien d’autres avions conscience, bien sûr ; évidence rendue encore plus évidente, si je puis dire, aujourd’hui, hélas, avec sa disparition brutale.

Hommage soit rendu à cette belle et admirable amitié qui était la vôtre, à cette fraternité proverbiale, à cette complicité salutaire et constructive entre deux concitoyens unis et solidaires pour que naisse et vive une Mauritanie fraternelle, juste et égalitaire : la Mauritanie espérée, sans cesse rêvée.

Voilà pourquoi tu fais partie de ceux à qui on doit présenter des condoléances attristées à l’occasion du décès de LY Djibril Hamet — au même titre que ses parents, sa famille, ses amis et proches. Voilà ce que ne veulent ni ne peuvent comprendre tes détracteurs bornés.

Dont certains, mus par un manichéisme des plus crasseux, lui-même alimenté en définitive par une idéologie raciste qui ne s’avoue pas, trouvent suspects et contre-nature, inconcevables et impossibles, au plan des relations humaines autant qu’au plan politique, toute fraternité, toute amitié, toute alliance, tout combat commun pour le salut du pays entre deux citoyens arabo-berbère et négro-mauritanien.

Ly Djibril Hamet, qui te sollicita pour l’accompagner à Oualata et à Néma en avril 2014, avec qui tu te recueillis sur les tombes de nos compagnons morts en détention, n’était assurément pas sur la même planète que cet autre de tes détracteurs de la bouche de qui sortit cette cruauté, cette stupidité, cette inhumanité, ce sacrilège pour un croyant : « Je suis extrêmement choqué, dit-il avec une indécente fierté pour le coup, par les images publiées ces derniers jours montrant Oumar O/ Boubacar posant fièrement devant les tombes de nos martyrs de Oualata ».
Et cela est dit avec la bénédiction de certains, sous les applaudissements sournois d’autres et au rythme d’une série de moues dédaigneuses d’autres encore.

Le comble du tragi-comique, nous y sommes quand nous voyons aujourd’hui certains de ces mêmes détracteurs se livrer à des témoignages élogieux et verser des larmes abondantes après le décès de Ly Djibril Hamet, oubliant ce qu’il fut pour toi, ce qu’ensemble vous avez fait et partagé. Il est vrai que le tragique a toujours été révélateur de ce qu’il y a en la personne humaine de beau et de grandiose mais aussi de laid et de mesquin.

Au fond, de tels détracteurs méritent-ils de retenir notre attention ? Non ! Les grands hommes font leur devoir, œuvrent avec humilité, sans fanfaronnade, les détracteurs font ce qu’ils savent faire : prostituer les faits, vilipender, critiquer sans discernement » , conclut Boye Alassane Harouna

l’Ambassade de France en Mauritanie attristée

Quant à l’Ambassade de France en Mauritanie, elle « salue cet ami de la France et de la Francophonie qui a vu naître et grandir la Mauritanie. De par ses qualités intellectuelles et ses compétences, il s’est imposé comme une personnalité de premier rang pour contribuer de façon significative à divers combats pour la construction de l’État mauritanien, dans sa diversité et le respect de l’autre.

Fidèles à ses principes, féru de culture, de poésie, francophone et francophile averti, membre assidu de l’Institut français de Mauritanie, acteur de premier plan de la Semaine de la Langue française et de la Francophonie, il a œuvré tout au long de sa vie, en rassembleur, dans le sens de la justice et de l’égalité totale des droits de tous les mauritaniens, avec un esprit militant.

Fondateur et Directeur de l’École "Diamly", au cœur de Sebkha, il a fait de sa vie, la promotion de l’Éducation comme source de savoirs, d’épanouissement, d’ouverture sur les autres et de paix.

La Mauritanie comme la France perdent un homme talentueux au parcours exemplaire avec comme fil conducteur la rigueur intellectuelle, la tolérance, la justice et la liberté ».


La culture mauritanienne vient de perdre un de ses géants. Le Fouta perd un de ses illustres fils. Inna Lillaahi wa Inna ileyhi raajioune.



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