21-11-2017 16:33 - « La mise en esclavage d’Africains est-elle plus acceptable en Mauritanie qu’en Libye ? »

« La mise en esclavage d’Africains est-elle plus acceptable en Mauritanie qu’en Libye ? »

Le Monde - Environ 13,6 % des esclaves dans le monde se trouvent en Afrique subsaharienne, précise notre chroniqueur. Sans susciter l’indignation. De nombreux Africains ont exprimé leur indignation suite à un reportage de CNN montrant un marché d’esclaves en Libye.

Sur Facebook, la bannière numérique « Je dis NON à l’esclavage en Libye – L’homme NOIR n’est pas une marchandise » était incontournable. A l’appel d’associations et de personnalités, une foule en colère a défilé dans les rues de Paris samedi 18 novembre.

Pour des raisons évidentes, cette colère est justifiée et son expression est salutaire. Mais elle soulève des questions que nous aurions tort d’ignorer. D’après l’Index global sur l’esclavage, environ 46 millions de personnes, dans 167 pays, étaient en situation « d’esclavage moderne » (travaux forcés ou mariages forcés) en 2016.

Sinistre catégorie

L’Afrique subsaharienne n’est pas épargnée. Un rapport conjoint du Bureau international du travail et de la Walk Free Foundation publié en août recense qu’environ 13,6 % des esclaves dans le monde se trouvent dans cette partie du monde.

Dans cette sinistre catégorie, les lauréats sont la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan et la Mauritanie. Dans ce dernier pays, le cas des militants anti-esclavagistes Moussa Biram et Abdallahi Mattalah, en prison depuis novembre 2016, a pourtant été médiatisé sans susciter de levée de boucliers.

Pour autant, des pays comme le Ghana, le Nigeria, l’Ethiopie et même l’Afrique du Sud – notamment via l’industrie du sexe – sont aussi concernés par une pratique qui prend certes plusieurs formes et impliquent différents types d’acteurs, mais dont le principe reste identique : la marchandisation de l’homme par l’homme.

Dès lors, la question se pose de savoir si pour certains d’entre nous la mise en esclavage d’Africains est plus acceptable au Soudan ou en Centrafrique qu’en Libye. L’esclavage intra-africain aurait-il une forme de légitimité ? Tout aussi préoccupante est notre dépendance collective à l’image.

Il y a fort à croire en effet que c’est moins la réalité de l’esclavage des Noirs, qui n’est donc pas nouvelle et est suffisamment documentée, qui a ému les classes moyennes africaines, que son image – le fait de voir cet esclavagisme en action.

Tout aussi révélateur est cet appel quasi unanime à la classe politique africaine pour qu’elle s’insurge contre le scandale libyen. Outre que plusieurs leaders africains seraient bien inspirés de mettre fin à l’esclavage chez eux, n’est-il pas évident que nos dirigeants sont une partie du problème et non sa solution ?

Après les révélations des « Panama Papers », celles, plus récentes, des « Paradise Papers » confirment, si besoin est, qu’une grande partie de l’élite africaine est obsédée par le pillage massif des ressources de nos pays.

Mais peut-être faut-il une vidéo, courte de préférence, d’un grand média occidental montrant tel ou tel dirigeant africain en train de virer des millions de dollars dans son compte personnel pour nous voir – les classes moyennes africaines – déferler devant nos palais présidentiels ?

Je ne doute pas que beaucoup des indignés du moment savent que nos leaders et la nature des régimes qu’ils incarnent, bien souvent avec l’appui des puissances occidentales, sont la cause du problème. Mais il est plus commode de s’attaquer à la conséquence plutôt qu’à la cause de ce problème. Car s’attaquer à la racine du mal supposerait deux conditions : d’abord reconnaître l’ampleur de ce mal.

Cette passion de la légèreté

En 2017, l’Afrique reste de loin le continent le plus pauvre, celui dont les indices de développement ont progressé le moins vite depuis cinquante ans, celui où les êtres humains mènent la vie la plus inhumaine.

Le scandale libyen tant décrié résulte en grande partie de cette indignité. Mais la réalité de l’Afrique intéresse moins les classes moyennes africaines que l’image que celles-ci veulent véhiculer du continent (pas si pauvre, pas si misérable, etc.).



Emprisonnées dans le confort d’un afroptimisme compulsif, elles ignorent cette réalité pour mieux faire valoir leurs intérêts. Il n’y a qu’à prendre place dans une de ces conférences qui pullulent sur le continent, où se succèdent des Africains globalisés et satisfaits d’eux-mêmes qui expliquent que « c’est ici que ça se passe », qu’on « sent bien que les choses bougent », ou encore que « l’Afrique est le continent de l’avenir », pour s’en convaincre.

Ensuite, il faudrait, d’une manière ou d’une autre, s’engager dans le combat politique. Sur ce point, l’histoire est formelle : seule la détermination d’hommes et de femmes organisés autour d’un idéal commun change le monde. Or, à une époque où le « jeune entrepreneur africain », nécessairement « innovant », qui multiplie les applications comme d’autres les brevets de recherche, incarne la figure du héros africain, les choses sont mal engagées.

Raymond Aron avait raison : « L’Histoire est tragique. » Nous n’en avons pas assez conscience. Elle n’a que faire des bons sentiments et des indignations vertueuses, elle ne récompense pas les belles âmes, elle ne se soucie même pas de justice. Tant que nous ne nous guérirons pas de cette passion de la légèreté qui nous habite, alors l’Histoire nous sera impitoyable. La preuve.

Par Yann Gwet, essayiste camerounais





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Commentaires (4)

  • samba el bakar (H) 22/11/2017 09:44 X

    Article mal approprié à la situation en Libye et qui suscite bien sûr des commentaires du type"préfabriqué" de la part de ceux qui se prétendent dans leur outrecuidance être les uniques défenseurs de la Mauritanie.Nous leur laissons ce rôle d' autocontemplenteurs devant le miroir déformant de leur vantardise.Cela étant,devant la gravité de ce qui se passe en Libye,y greffier d' autres aspects de l' esclavage en Afrique reviendrait à vouloir noyer le poisson dans l'eau.Non pas que cela ne vaille la peine d' en parler,mais parce que ces images en elles-mêmes dévoilent les bas-fonds de l'absence totale de l' humanisme.Et d' ailleurs certains articles commencent à circuler pour dire que ces hommes servent de pièces détachées pour le commerce clandestin d' organes .Donc cette vente aux enchères des africains noirs ne serait que la partie visible de l' iceberg.Nous espérons qu'une enquête internationale approfondie mettra en lumière cette catastrophe humanitaire.

  • mystere1 (F) 22/11/2017 09:39 X

    L'esclavage, ce maudit crime contre la dignité et honneur de l'humanité, n'a jamais été en mieux encore moins bon ! cependant mr Yann Gwet, on peut dire que aussi bien le cas de la Mauritanie n'est pas qu'acceptable, que celle de la libye, bien vraie que celle de la Mauritanie est en mieux d'une façon ou manière par rapport à celle de la libye qui est abominable surtout en cette 21è siècle, quelle scandale honteux !

  • Bertrand (H) 21/11/2017 18:34 X

    Le continent africain dans son intégralité est réduit à l'esclavage en raison deux siècles de colonisation qui a pillée toutes les richesses, acculturė les africains. Après le nrocolonuzlusle que joue aujourd'hui les grandes puissances protectrices qui colonisent par le biais de brigands, de meurtriers pour piller encore et détériorer encore la vie précaire de kesclave. Ensuite les guerres civiles, de religions ... les maintenir toujours dans une dépendance qui chaque jour resserré son étau.

  • Belphegor (H) 21/11/2017 17:32 X

    Hum un essayiste Camerounais qui n'a probablement jamais les pieds en Mauritanie mais qui se base sur les chiffres fantaisistes distillées ca et la par l'IRA et ses alliés les ONG occidentales elles même largement intoxiquées par la propagande mensongère de Birame et sa clique ce qui alimente les fantasmes en tous genres pour les occidentaux et africains subsahariens qui ne sont jamais venus dans notre pays et qui s'imaginent que les marches aux esclaves foisonnent à ciel ouvert à l'image des bourses de voitures importés à Nouakchott ou que toutes les maisons et commerces de maures (car il ne faut pas se leurrer ce sont des articles qui ne visent que la communauté maure qui est présentée comme ayant le monopole de cette pratique même si elle n’est pas toujours désigné explicitement) n’emploieraient que des esclaves, refrain largement claironné à dessein par certains intervenants sur ce site.