16-01-2018 14:50 - Huit universitaires et chercheurs mauritaniens lancent un SOS : " El Ghadima se meurt, sauvegardons-le ! "

Huit universitaires et chercheurs mauritaniens lancent un SOS :

Mauri Actu - Fondé il y a trois cent cinquante sept ans à la suite de l’exode d’une partie des habitants de Chinguetty, El Ghadima, l’ancien ksar de Tidjikja, est l’un des derniers témoins des villes anciennes mauritaniennes de deuxième génération.

Comme les grandes haltes sur le parcours des caravanes qui sillonnaient l’espace saharien depuis des millénaires, il s’est construit autour du puits de Hsey Tourja, où les bateliers du désert venaient boire, abreuver leurs montures et prendre un peu de repos avant de reprendre leur pénible mais exaltante navigation.

Comme elles, il symbolise la volonté du nomade de démystifier le mythe antique, selon lequel le Sahara était une barrière infranchissable ; et il continue, dans les temps modernes, l’activité millénaire d’échange entre l’Atlas maghrébin et le Soudan, maintes fois soulignée comme déterminante dans l’émergence et le déclin des civilisations sahariennes par les voyageurs et les historiens arabes, d’Al Fazari à Ibn Khaldun, passant par Al Bakri.

Érigé suivant le modèle architectural des cités maghrébines anciennes, El Ghadima arborait le charme attachant des médinas et la structure fonctionnelle de casbahs, recréant ainsi, en plein pays nomade, un paysage urbain qui n’était pas sans surprendre en ces lieux.

Il recèle, donc, une dimension civilisationnelle et historique indéniable. Il nous parle des habitants des lieux il y a plus de trois siècles et demi ; de leur contexte, de leur génie et des activités auxquelles ils s’adonnaient pour vivre.

Ses habitations serrées les unes contre les autres rappellent l’obsession sécuritaire qui les hantait au temps des razzias et des incursions pillardes ; ses rues étroites et sinueuses – qui convergent toutes vers la mosquée – témoignent de la place centrale qu’occupe l’islam dans leur vie quotidienne et ses caravansérails, au nombre des points cardinaux, dénotent de sa vocation de plateforme d’échange commercial et de halte sur le chemin des caravanes qui parcouraient le désert dans toutes les directions.

Et que dire de Doueira ; cette université oasienne unique en son genre, qui forma des générations entières d’ulémas, de cadis et de chefs de confréries religieuses, en Mauritanie et dans plus d’un pays d’Afrique occidentale musulmane ?

Doueira où enseignaient bénévolement les érudits du ksar, à tour de rôle et chacun selon sa spécialité ; et où les étudiants, souvent des étrangers, étaient les pensionnaires de tous les habitants du ksar qui subvenaient à tous leurs besoins suivant un système habile de prise en charge ?

Que dire du système d’évacuation des eaux de pluie, révolutionnaire en son temps, du règlement foncier et de la police urbaine dont le principe de base est la conduite collégiale des affaires de la cité (Jemaa) ?

Il y a, à El Ghadima, comme dans les autres villes anciennes du pays, bien d’autres originalités patrimoniales à conserver et bien des pans de l’histoire et de la culture de la Mauritanie et du monde à transmettre aux générations futures.

Il y a là des milliers de manuscrits précieux, venus à dos de chameau de contrées lointaines ou rédigés par les lettrés locaux eux-mêmes ; il y a là, désormais sommeillant dans la mémoire de quelques personnes âgées, des pièces monumentales d’une tradition orale riche des multiples confluences qui empreignent la culture saharienne ; il y a là, survivant à toutes les intempéries de l’histoire, les réminiscences d’un folklore et d’un art oasiens à l’authenticité et à la beauté qui furent fabuleuses et le restent encore, même plus ou moins désaffectées.

Et il y a là, inscrits dans le livre du temps, des moments importants de l’histoire ancienne et moderne de notre pays et de toute l’Afrique du nord et subsaharienne.

Mais El Ghadima, qui est sans doute l’un des plus beaux sites historiques mauritaniens, est hélas menacé de disparition. Il présente aujourd’hui un spectacle désolant ! Des habitations qui, jadis, ont vu naître de grands hommes comme l’illustre Sidi Abdoullah Ould El Hadj Brahim, abrité beaucoup de savoir et de richesse et servi de théâtre à d’importants événements se trouvent maintenant à l’état d’abandon, à moins qu’elles n’aient cédé la place à des bâtisses de fer et de béton.

D’autres encore sont transformées en dépotoirs d’ordures pour les quartiers avoisinants et étouffent sous un amoncellement d’immondices, au préjudice de leur valeur historique et symbolique. Et d’autres, tombées en ruines, voient les matériaux qui avaient servi à les édifier pillés au grand jour ou réutilisés ailleurs par les ayants droit.

Ainsi, le passé rayonnant d’El Ghadima, le génie créateur de ses bâtisseurs et la mémoire qu’elle partage avec le pays et avec le monde entier, risquent d’être perdus à jamais, privant l’humanité de l’inestimable valeur historique et symbolique qui leur est attachée !

Il reste cependant, que le plus déplorable et le plus fâcheux, c’est le sort réservé à l’ancienne mosquée du ksar. Construite d’abord sur le modèle de l’emblématique mosquée de Chinguetty ; avec le même plan architectural, les mêmes matériaux traditionnels (pierres sèches, troncs et spadices de palmiers, argile et chaux locales) et le même minaret caractéristique, le bâtiment historique a été tout simplement démoli, contre l’intérêt du patrimoine et de l’histoire, et remplacé par un cube de béton à l’aspect quelconque ; une bâtisse sans âme, sans portée et sans harmonie avec le paysage !

Cette agression regrettable contre le passé, cette infidélité étrange aux ancêtres est un préjudice majeur fait à Tidjikja qui voit ainsi effacée l’une des traces marquantes de son histoire et falsifiée une partie de la mémoire de ses habitants, privant ses enfants d’utiliser la grandeur de leurs ancêtres comme une lanterne pour éclairer leur avenir.

Dans le tableau sombre que présente aujourd’hui ce site historique malmené par le temps, par la négligence et, parfois, la fureur reconstructrice des hommes, l’inscription en 2013 d’El Ghadima sur la liste du patrimoine national mauritanien constitue une lueur d’espoir bienvenue, un premier pas vers la réparation du tort fait à ce patrimoine de grande valeur.

Cependant, cette décision, fort louable en elle-même, a besoin d’être soutenue par une prise de conscience, tant au niveau local et national qu’au niveau international, de son importance, des actions qu’elle induit et, surtout, de l’urgence de sa mise en œuvre. En effet, le temps presse, car chaque jour qui passe, le site d’El Ghadima subit des mutilations irréversibles, perd une part de ce qui en fait la valeur patrimoniale !

C’est pourquoi nous soussignés, professeurs chercheurs, écrivains et personnalités culturelles originaires de Tidjikja, lançons aujourd’hui un appel solennel pour la sauvegarde du site historique d’El Ghadima, ancien ksar de Tidjikja et sa restauration pour lui garder son cachet traditionnel et patrimonial.

Nous invitons, à ce propos, le gouvernement mauritanien à œuvrer, par les voies et moyens appropriés, à l’application des textes règlementaires qui régissent les sites classés patrimoine national, et au classement du site comme patrimoine mondial pour en renforcer la protection et faciliter la réhabilitation, à l’instar des villes de Ouadane, Chinguetti, Tichit et Oualata, dont Tidjikja vient juste après, considérant la date de fondation.

Nous appelons tous les ressortissants de la ville et l’ensemble des bonnes volontés intéressées par la préservation et la valorisation du patrimoine national mauritanien à se mobiliser pour contribuer, chacun en ce qui le concerne, en faveur de cette noble et exaltante mission.

Nous prions toutes les personnalités culturelles du monde à se joindre à nous pour signer cet appel afin de convaincre l’UNESCO d’inscrire El Ghadima sur la liste des sites classés patrimoine universel, d’en assurer la préservation, la restauration et la conservation pour le bien commun de l’humanité tout entière. El Ghadima se meurt, sauvegardons-le !

Nouakchott, le 12 janvier 2018

Les signataires :

Mohamed Abdallahi OULD KHALIFA, professeur chercheur

Abdel Wedoud OULD ABDALLAHI dit Dedoud, professeur chercheur

Tijani OULD ABDEL HAMID, professeur chercheur

Lemrabott OULD MOHAMED EL HACEN, historien et chercheur

Sidi OULD OUMAROU OULD NEMINE, chercheur

Idoumou OULD MOHAMED LEMINE ABASS, professeur chercheur et écrivain

Didi OULD SALECK, professeur chercheur

Brahim OULD BEYE, expert en gestion du patrimoine culturel



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Source : Mauri Actu
Commentaires : 3
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Commentaires (3)

  • medmedelmaouloud (H) 16/01/2018 22:17 X

    ELVALLI (H) Bien u'il ne soit pas de mes habitudes de répondre à ce genre de sorties de quelqu'un qui choisit l’anonymat, je te dit quand même: هاذ ما هو كدك. Pour ceux qui ne comprenne pas le hassania: le commentaire n'est patriotique et peu digne d'un citoyen qui aime son pays.

  • mdmdlemine (H) 16/01/2018 16:27 X

    Ce sont bien des universitaires, chercheurs et écrivains "Authentiques", dont il faut bien satisfaire le SOS C'est une académie collective en voie de disparition, face à l'inflation des faux diplomés, qu'Allah nous en préserve Longue vie à nos doyens

  • ELVALLI (H) 16/01/2018 15:20 X

    AH ! Si seulement ces lettrés, ces universitaires pouvaient convaincre ma belle mère de quitter Nouakchott pour quelque temps et d’aller se faire encore du surpoids, par gavage en lait de chamelles, gratuitement, dans son désert natal au milieu des siens dans cette cité caravanière et ses vieux savants d’amis poètes qui chantent, selon elle, sa beauté unique!