15-04-2020 15:10 - Dette africaine : « Une crise humanitaire entraînerait des flux migratoires »

Le Point - Le G20 Finances qui se tient ce mercredi devrait opter pour un moratoire sur les dettes de 76 pays. Bruno Le Maire plaide pour une annulation.
Les discussions préparatoires du G20 Finances qui se tient aujourd'hui – par visioconférence – devraient aboutir à un moratoire sur la dette de 76 pays, dont 40 d'Afrique subsaharienne. Emmanuel Macron plaide pour une annulation pure et simple. Pour l'instant, seule une suspension des paiements de la dette a été décidée. Elle portera sur 12 milliards de dollars de créances bilatérales, 8 milliards de dollars de créances privées (sur une base volontaire).
Restent en suspens 12 milliards de dollars de créances multilatérales détenus en grande partie par la Banque mondiale… « La Chine a soutenu notre approche », souligne Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, en désaccord avec les Américains sur l'augmentation du fonds en droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI de 500 milliards d'euros.
« Ce moratoire est une réelle avancée. Il va permettre de redonner de la trésorerie aux États qui en ont le plus besoin », poursuit-il. Ensuite, on fera le point à la fin de l'année et, au cas par cas, dans un cadre multilatéral, nous examinerons si les dettes sont soutenables ou pas selon la situation du commerce mondial et le prix des matières premières. »
Pénurie alimentaire à craindre
La France se soucie en effet de la situation des pays en voie de développement, où la crise sanitaire risque de provoquer des catastrophes en série. La situation est « inextricable », selon le ministre français, qui redoute un enchaînement terrible. « La Mauritanie, par exemple, n'a que trois respirateurs artificiels », souligne Bruno Le Maire.
L'économie est pétrifiée, les flux commerciaux à l'arrêt, or, pour beaucoup de ces pays, l'économie est peu diversifiée et dépend des prix des matières premières.
La chute du prix du baril de pétrole (tombé à 23 dollars le 30 mars) fragilise particulièrement des pays comme le Congo (dépendant à 65 % de l'or noir), le Tchad (44 % des recettes budgétaires liées au pétrole) ou encore le Gabon (37 %).
« La situation peut entraîner dans les semaines à venir une pénurie alimentaire. Il y a donc un risque de catastrophe humanitaire en Afrique qui entraînerait, après la crise, des flux migratoires », ajoute le ministre.
Et bien entendu, l'Europe serait en première ligne et n'est absolument pas préparée à un tel afflux, et ses réponses juridiques sur l'asile et la migration ne font toujours pas l'objet d'un consensus entre les 27. L'annulation de la dette des pays africains est donc une priorité pour la France comme pour l'Europe, autant par altruisme que pour se protéger d'une crise migratoire à venir.
Washington et Paris en dissonance
S'agissant de l'accroissement du fonds en droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI, les Américains ne le jugent pas nécessaire à ce stade. Steven Mnuchin, le secrétaire du Trésor américain, s'est déjà entretenu deux fois avec Bruno Le Maire à ce sujet.
Les Allemands soutiennent cette proposition française qui, selon Bercy, accorderait une « bouffée d'air » et augmenterait les réserves de tous les pays dans le monde, dont 16 milliards de dollars profiteraient aux pays les plus pauvres.
En 2008, lors de la crise financière, Washington avait accepté d'augmenter de 250 milliards de dollars les DTS du FMI. Toutefois, les pays du G7 ont accepté une autre proposition française : proposer au FMI de créer une ligne de liquidités à court terme dont le montant reste à définir.
Selon le FMI, dans l'hypothèse où la pandémie et les mesures d'endiguement nécessaires atteindraient un pic au cours du deuxième trimestre pour la plupart des pays du monde, puis s'atténueraient au cours du deuxième semestre de cette année, la contraction de l'économie serait de 3 % en 2020.
« Le "grand confinement" constitue ainsi la pire récession depuis la Grande Dépression et est bien plus grave que la crise financière mondiale », écrit Gita Gopinath, cheffe économiste du FMI, qui prévoit un rebond de l'économie mondiale de 5,8 % en 2021.
« Cette reprise en 2021 ne serait que partielle, car le niveau de l'activité économique devrait rester inférieur à celui que nous avions prévu en 2021 avant l'apparition du virus. » La perte cumulée du PIB mondial en 2020 et 2021 est évaluée à 9 000 milliards de dollars.
Par Emmanuel Berretta