20-04-2025 16:33 - Affaire Yaya Cissé / Transfèrement judiciaire, souveraineté pénale et appel à la rigueur

Affaire Yaya Cissé / Transfèrement judiciaire, souveraineté pénale et appel à la rigueur

Le 17 avril 2025, Yaya Cissé, ressortissant malien condamné à mort par la justice mauritanienne pour un homicide commis en 2010, a été transféré vers le Mali. Depuis, l’affaire alimente commentaires hâtifs et analyses approximatives. Certains évoquent une libération, d’autres une manœuvre politique.

Mais au-delà des impressions et des rumeurs, il s’agit d’un acte juridique précis, qui mérite d’être lu pour ce qu’il est : un transfèrement encadré par un accord bilatéral, et non un abandon de la décision judiciaire.

Un cadre conventionnel encore en vigueur

Le fondement de ce transfèrement repose sur une convention judiciaire toujours active entre la Mauritanie et le Mali. Celle-ci permet à un ressortissant condamné dans un des deux pays de purger sa peine dans son État d’origine. Ce mécanisme, reconnu en droit international, répond à des considérations pénitentiaires, humanitaires ou sociales. Il ne suspend pas la peine, il en déplace seulement le lieu d’exécution.

Mais dans le cas d’une condamnation à mort, la lecture juridique devient plus complexe. La Mauritanie, qui n’a pas procédé à une exécution depuis 1987 mais qui maintient la peine capitale dans son droit, transfère ici un détenu vers un pays qui, lui aussi, est rétentionniste en droit mais abolitionniste de fait depuis 1980. Cela pose une question de cohérence : comment gérer une peine extrême dans un contexte d’ambiguïté légale des deux côtés ?

Clarifier les notions, éviter les amalgames

Le débat public gagnerait à distinguer ce qu’est un transfèrement, fondé sur un accord judiciaire entre États, et ce qu’est une extraction, qui relève d’une opération unilatérale, souvent contraire aux règles de droit. Le cas Cissé s’inscrit dans le premier cadre. Il ne s’agit ni d’une libération, ni d’une grâce, encore moins d’un effacement de peine.

En revanche, des interrogations subsistent :

– Le consentement de l’intéressé a-t-il été recueilli selon les règles de droit ?

– La procédure a-t-elle respecté les droits de la défense ?

– Quelles garanties ont été fournies par le Mali concernant la suite de l’exécution de la peine ? Ces questions ne relèvent pas de la polémique mais de l’exigence. À ce niveau de gravité, le flou n’a pas sa place.

Une affaire sensible, un test institutionnel

En acceptant ce transfèrement, le Mali devient dépositaire d’une peine qu’il n’a pas prononcée. Ce n’est pas un simple transfert administratif. C’est un test : juridique, diplomatique et moral. Que fera-t-on de cette peine dans un État qui la prononce mais ne l’exécute plus depuis plus de quatre décennies ? Le cas relance la nécessité pour le Mali – comme pour la Mauritanie – de clarifier sa position sur la peine de mort. Maintenir un texte sans l’appliquer, c’est laisser place à toutes les interprétations.

Une parole publique à la hauteur de l’enjeu

Ce texte n’a pas pour objet de prendre parti, ni de faire le procès de quiconque. Il se veut un rappel : dans une affaire aussi sensible, la responsabilité de la parole est essentielle. Trop souvent, les commentaires publics ignorent la complexité du droit, les dynamiques diplomatiques ou les enjeux de procédure. Et trop souvent, des faits graves deviennent matière à surenchère ou à récupération.

La justice a ses lenteurs, ses silences, ses zones d’ombre. Mais elle reste un espace structuré, où l’argument l’emporte sur l’émotion. Face à ce type d’affaire, ce n’est pas de bruit dont nous avons besoin, mais de méthode.

Aux juristes, aux magistrats, aux analystes, de s’en saisir avec hauteur et responsabilité. Et à chacun, de refuser l’amalgame. Car préserver l’État de droit, même lorsqu’il est mis à l’épreuve, est une exigence partagée.





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Source : Mansour LY
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