21-04-2025 08:48 - Affaire Yaya Cissé: Extradition ou aveu d’échec judiciaire ?

Le Rénovateur Quotidien -
Ni héros, ni monstre! L’extradition de Yaya Cissé ouvre une brèche dans l’édifice judiciaire mauritanien. Et si cette affaire révélait surtout les angles morts de notre système pénal.
Condamné à mort pour un crime atroce à Nouadhibou, Yaya Cissé a été extradé vers le Mali quinze ans après sa condamnation. Une décision qui relance le débat sur l’équité des procès criminels et pointe les failles d’un système judiciaire en quête de crédibilité.
L’extradition de Yaya Cissé, ressortissant malien condamné à mort en 2012 pour le meurtre particulièrement sordide du guide touristique Ahmed Ould Aman, ne cesse d’alimenter la controverse. Transféré au Mali à la demande de son gouvernement, après quinze années de détention en Mauritanie, ce dossier soulève une question centrale : la justice mauritanienne est-elle suffisamment outillée pour garantir des procès équitables dans les affaires les plus sensibles ?
Une affaire aux multiples lectures
D’un côté, les partisans de Cissé — militants des droits humains, élus maliens et membres de la diaspora — parlent d’une erreur judiciaire flagrante. Selon plusieurs témoignages, Yaya Cissé se trouvait au Mali au moment du crime. Pour eux, son extradition est une réparation, tardive mais nécessaire.De l’autre, la famille de la victime et une partie de l’opinion publique mauritanienne s’indignent. Pour eux, cette décision revient à nier la douleur d’une famille, à décrédibiliser un verdict rendu par une cour d’appel, et à affaiblir le système judiciaire national.
Une justice fragilisée par ses propres limites
Entre ces deux visions, un malaise persiste. Car si l’innocence de Cissé était aussi évidente que ses soutiens le prétendent, pourquoi n’a-t-elle jamais été reconnue par la justice ? Et si, au contraire, la procédure était solide, pourquoi autoriser son extradition ?C’est précisément là que le bât blesse : la justice pénale mauritanienne montre ici ses failles.
Enquêtes menées sous pression, preuves parfois fragiles, recours limités voire inexistants… autant d’éléments qui mettent en péril le principe fondamental de présomption d’innocence et la rigueur attendue dans toute affaire criminelle.Il ne s’agit pas de nier les efforts de réforme en cours, ni de jeter l’opprobre sur toute l’institution judiciaire.
Mais une chose est claire : lorsqu’un condamné à mort suscite autant de doutes plus d’une décennie après son jugement, c’est que quelque chose n’a pas fonctionné comme il fallait.Une décision aux répercussions lourdes. Le transfert de Yaya Cissé ne peut être vu comme un simple geste diplomatique.
Il pose un précédent : celui d’un État acceptant, de facto, de revenir sur une décision de justice sans avoir les moyens institutionnels de la reconsidérer officiellement.Ce flou est dangereux. Il affaiblit la justice. Il fragilise la confiance des citoyens. Et il risque d’encourager l’impunité ou, au contraire, des jugements rendus dans la précipitation pour satisfaire l’opinion.
Pour une justice à la hauteur des enjeux…
Il est temps que la Mauritanie ouvre un chantier sérieux sur la réforme de son appareil judiciaire, en particulier dans le traitement des crimes violents. Une justice forte ne se mesure pas à la sévérité des peines qu’elle prononce, mais à sa capacité à garantir un procès équitable, à corriger ses erreurs, et à résister aux jugements hâtifs.
L’affaire Yaya Cissé n’est pas un simple fait divers judiciaire. C’est un miroir tendu à une institution qui, pour rester crédible, doit avoir le courage de s’évaluer, de se moderniser et de se remettre en cause.
Amadou Diaara