06-05-2025 13:51 - “Marges de vérité”: Quand les élus sabordent le contrôle parlementaire!

La Dépêche - Dans un hémicycle censé incarner la souveraineté populaire, l’absence devient plus lourde que la présence. L’adoption du projet de loi n° 006-25 portant règlement définitif du budget de l’État pour l’année 2023, par seulement 55 députés sur 176, constitue moins un acte législatif qu’un aveu : l’Assemblée nationale se vide d’elle-même, non par hasard, mais par dévoiement délibéré de ses fonctions les plus nobles.
Il faut rappeler ce que représente une loi de règlement : c’est l’acte ultime par lequel le Parlement constate la sincérité des comptes publics exécutés. Elle est la clef de voûte de la responsabilité budgétaire, le point d’orgue du contrôle parlementaire, là où se vérifie si la politique de dépense a respecté la légalité, la transparence, et l’intérêt général.
En théorie, aucun parlementaire sérieux n’oserait manquer ce rendez-vous avec la reddition de comptes. Mais en pratique, à peine le tiers de l’Assemblée se donne la peine de voter, et 121 élus brillent par leur absence, dans un mépris glaçant pour la mission qui leur a été confiée par le suffrage universel.
Car ce n’est pas l’absence qui est préoccupante, mais son opportunisme. Lorsqu’il s’agit de voter une augmentation de leurs indemnités, ils sont là. Lorsqu’il faut faire pression pour l’attribution de parcelles à Tevragh Zeina, ils accourent. Quand il s’agit de rejeter la revalorisation des salaires des enseignants, ils sont soudain omniprésents.
La loi de règlement ne distribue pas de parcelles, ne flatte aucun égo, n’offre pas de gain immédiat. Elle ne sert ni l’affairisme ni la rente. Elle n’intéresse donc pas. Voilà la vérité nue.
Que signifie un vote budgétaire approuvé par 45 voix contre 10, sur 176 députés ? Que reste-t-il de la légitimité d’un vote si le quorum moral n’est plus atteint ? Que vaut le contrôle parlementaire si ceux qui en ont la charge le traitent comme une simple formalité technocratique ? Derrière les chiffres macroéconomiques avancés par le ministre — 6,5% de croissance, baisse de l’inflation, déficit sous contrôle — se cache un déficit bien plus grave : celui de la présence, de l’engagement, de la responsabilité politique.
Et ce déficit-là n’est pas budgétaire : il est constitutionnel, moral et institutionnel.
Le paradoxe est cruel : les absents sont payés. Leur salaire, leurs avantages, leurs per diem, sont financés par le contribuable ordinaire, celui-là même dont le budget retrace les impôts versés, les aides perçues, les dépenses subies. Il paie pour être représenté, et il est trahi par l’indifférence. Il envoie au Parlement des voix pour parler, et elles se taisent. Ce mutisme volontaire est une forme d’abdication.
Le vote de la loi de règlement 2023 aurait pu être l’occasion d’un débat de fond sur l’efficience des dépenses publiques, sur la justice fiscale, sur les arbitrages budgétaires entre infrastructures, santé, éducation et armée. Il ne fut qu’un moment creux. Une majorité invisible a laissé passer le texte dans l’indifférence quasi générale.
C’est une défaillance grave de la représentation nationale. Car un Parlement qui ne contrôle plus l’exécutif, qui ne discute plus le budget, qui ne siège que pour s’enrichir ou se distribuer le foncier, devient une coquille vide, un appendice décoratif du pouvoir, sans utilité ni légitimité.
Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv