29-05-2025 19:31 - Me Taleb Khyar Ould Mohamed Mouloud, l’un des avocats d’Aziz : "La décision rendue en appel contre notre client viole le principe de prévisibilité et de sécurité juridique"

Me Taleb Khyar Ould Mohamed Mouloud, l’un des avocats d’Aziz :

Le Calame -- Le verdict de la cour d’appel vient de tomber, l’ancien président écope de 15 ans de prison alors qu’il avait été condamné à 5 ans de prison en première instance. Avez-vous été surpris par le verdict ? A votre avis qu’est-ce qui le justifie ? Y-a-t-il eu de nouveaux éléments dans le dossier ?

Me Taleb Khyar : Surpris et choqué, car la décision rendue en appel viole le principe de prévisibilité et de sécurité juridique, notamment la règle de non-rétroactivité de la loi pénale. En effet, notre client a été condamné pour blanchiment de capitaux, alors que la loi incriminant un tel acte et son décret d’application sont intervenus postérieurement à la mise en accusation de l’ancien président.

Aucun plaideur ne peut prévoir que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale puisse être remis en question devant une juridiction, de surcroît pénale, alors même que ce principe est consacré par l’article 4 du code pénal mauritanien, en ces termes : « Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcés par la loi, avant qu’ils fussent commis ».

La juridiction d’appel s’est fondée sur des preuves à charge fabriquées ex-nihilo contre l’ancien président de la République, pour s’en prévaloir afin de le condamner, le parquet n’ayant en aucun moment de la procédure, administré des preuves pouvant incriminer l’ancien président, étant entendu que la seule preuve légale audible en la matière se doit d’être corroborée par des rapports émanant d’autorités compétentes que sont la Cour des Comptes, l’inspection générale des finances, or il n’existe aucun rapport financier dans le dossier produit par lesdits organes.

C’est pour parer à cette carence que la cour d’appel s’est fondée sur des témoignages de personnes n’ayant même pas le certificat d’études primaires, et donc insusceptibles de comprendre ou d’expliquer les dysfonctionnements présumés de l’exécution des lois de finances pour la période incriminée, qui va de 2010 à 2018, alors même que l’exécution des lois de finances pour toute cette période, a fait l’objet de lois de règlement pour chaque année.

Or, les lois de règlement constituent des présomptions légales de la bonne exécution du budget de l’Etat et des budgets annexes, et cette présomption ne peut être renversée par des dires, ou témoignages émanant de personnes incultes, ne comprenant rien aux mécanismes de gestion des deniers publics, personnes dont le témoignage est de surcroît provoqué, pour parer à la carence de preuves audibles.

La décision de la cour d’appel viole la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption qui fait obligation à tout Etat Partie de fonder ses poursuites sur les principes fondamentaux de sa constitution, or l’article 93 de la Constitution mauritanienne prévoit un privilège de juridiction pour le président de la République aux termes duquel, il ne peut être jugé que par la Haute Cour de Justice, et seulement pour haute trahison, ce qui l’exclut de tout champ d’incrimination en rapport avec le détournement de deniers publics.

Par ailleurs, il n’a jamais été question d’une quelconque inculpation de l’ancien président pour haute trahison.

Enfin, la décision de la cour d’appel viole l’arrêt n°009/2024 de la Cour Constitutionnelle qui, par application du principe de la hiérarchie des normes, a proclamé la supériorité de l’article 93 de la Constitution votée par le peuple, sur la loi contre la corruption qui est une loi ordinaire, votée par le parlement. Or, cet article 93 prévoit que le président ne peut être jugée que par la Haute Cour de Justice.

On retrouve le même texte, reproduit à la virgule près dans la constitution de la république sœur du Sénégal en son article 101 ; l’actualité nous rapporte qu’au Sénégal, le dossier de l’ancien président est renvoyé devant la Haute Cour de Justice, tandis que chez nous, le parquet a fait fi des dispositions de notre propre constitution, suivi en cela par nos tribunaux ; le tout en violation frontale du caractère intangible de la constitution.

-Quels enseignements tirez-vous de ce procès qui dure depuis près de quatre ans déjà ?

-C’est prématuré de tirer un quelconque enseignement avant la décision de la Cour Suprême, en attente d’être rendue sur la base du pourvoi en cassation.

-Après l’annonce du verdict, vous avez annoncé votre intention de vous pourvoir en cassation. Avez-vous le sentiment que justice n’a pas été dite pour votre client ?

-Absolument ! Comme expliqué tantôt, la décision de la cour d’appel est une voie de fait ; nous entendons plaider cet argument devant la Cour Suprême, pour obtenir son annulation.

- Depuis quelque temps, on ne voit plus vos collègues du Sénégal et du Liban. Pourquoi ont-ils déserté le prétoire ?

-A ma connaissance, nos confrères étrangers ne se sont pas déportés ; ils continuent donc de faire partie du collectif chargé de la défense de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz.

- L’ancien ministre Seyidna Aly Mohamed Khouna, un des soutiens de votre client a été interpellé par la police dans la foulée du prononcé du verdict. Que pensez-vous de cette arrestation ? Serait- elle liée au dossier de votre client ?

-Je ne suis pas constitué dans le dossier de l’ancien ministre Seyidna Aly Mohamed Khouna, et ne puis donc répondre valablement à cette question.

-Le dernier conseil des ministres a approuvé un projet de décret portant création d’in institut supérieur de magistrature et métiers de la justice. Que pensez-vous de cette décision ?

Toute décision visant à l’amélioration des ressources humaines, dans quelque domaine que ce soit, est à saluer. Cependant, il faut privilégier la qualité de la formation sur la quantité des apprenants, sans tomber dans les excès abusifs du numerus clausus, qui cachent souvent une forme de discrimination, voire d’exclusion.

Nos magistrats ont besoin d’avoir une formation transversale, qui leur permette d’associer plusieurs disciplines à celles qui font classiquement la matière de leur formation ; je pense notamment à une formation basique en économie, plus poussée en anglais commercial, en droit des entreprises en difficulté, en droit constitutionnel pour comprendre la place des institutions dans un Etat de Droit, mais aussi dans d’autres disciplines, comme le traitement des données, le droit international et le droit humanitaire.

Nos magistrats sont, pour la plupart, enfermés dans des systèmes juridiques moyenâgeux qui les empêchent de comprendre les enjeux de la contemporanéité qu’ils observent avec une certaine méfiance, teintée parfois d’adversité ; c’est cet état d’esprit qu’il faut changer en leur permettant d’accéder à des sciences juridiques nouvelles, qui ne sont pas seulement celles du campement et de la medersa.

Propos recueillis par Dalay Lam



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