10-06-2025 13:12 - Guerrier ou marabout

Guerrier ou marabout

Une fâcheuse culture assez répandue chez nous tend à présenter les « beni Hassane » comme des illettrés. Certains vont même jusqu’à les qualifier de brigands hors-la-loi. Décidément, nos lettrés contemporains ne semblent pas reconnaitre aux « beni Hassane » le mérite d’avoir développé la culture et la paix en Mauritanie.

Néanmoins, pour ne pas généraliser on peut citer quelques exceptions : Mamadou Ba et Said Hamody qui n’ont pas démérité dans la conservation de notre patrimoine. Si l’on se réfère à l’Histoire des émirats, force est de constater qu’aucune connaissance n’aurait pu se développer sans la paix sociale instaurée dans ces émirats.

Ils ont fourni deux vecteurs indispensables au développement économique et culturel : l’Islam et l’Arabe. Nous devons à ces deux piliers notre stabilité actuelle. Les « beni Hassane » sont incontestablement les premiers à avoir répandu la culture arabe sur toute la zone nord-africaine.

Certes, les mourabitounes ont auparavant répandu l’Islam en Afrique et en Europe sans pour autant s’attarder sur la poésie et la musique. Leur austérité s’est même prolongée à travers leurS héritiers marabouts: on raconte que l’imam Nacer Eddine sanctionnait ceux qui composaient des poèmes romantiques. Il aurait même ordonné de détruire les instruments de musique. Quand les « beni Hassane » ont pris le pouvoir après la guerre de Char Beba, ils ont interdit aux vaincus le port d’armes et leur ont imposé d’instruire le peuple.

Les impôts étaient dus moyennant la protection armée. Ceux qui prétendent que c’était le chaos se trompent car malgré quelques affrontements et rapines, la paix et la justice régnaient dans tous les émirats.

Ainsi l’adorable poète et érudit M’hamed Ould Tolba elyacoubi demandait au roi Mohamed Lehbib de ne point quitter le pouvoir pour le bien-être des musulmans. Un autre poète, Elmamoun ould Mhamed Essoufi qualifie Ely ould Ely ould Ahmed chef des Oulad Lab de « lion de Dieu ».

Au Brakna, un vers très populaire disait: aucun brigand n’a connu le repos sous le règne de Lebatt ould Hmeiyada. Et que dire alors du grand poète et faquih Mohamed Abderrahman ould Moubarek elgounani lorsqu’il immortalise la paix légendaire d’Ahmed ould M’hamed ? « Personne ne prend à qui que ce soit et nul ne donne à quiconque la moindre chose exceptée l’information ».

Il relate même dans un vers la punition d’un rat qui aurait volé un chapelet. Un historien contemporain, Abdelwedoud ould Ahmed Maouloud ould Ntahah relate avec objectivité ce règne qui a instauré l’équité et combattu toute forme d’injustice.

Il a eu le bonheur de coïncider avec des grands émirs dans les autres émirats: son oncle Bekar au Tagant, Ely au Trarza et M’hamed Ould Lemhaymide au Hodh. Cette époque a vu une expansion économique remarquable, sans doute la meilleure jamais connue dans ce pays. Quand la justice règne, tout le reste vient avec elle en corollaire.

Sous l’occupation française, l’administration a joué sur les deux cordes : guerrier et marabout pour faire marcher tant bien que mal l’embryon de l’état moderne. Elle s’est servie du guerrier pour asseoir son emprise militaire et du marabout pour diffuser sa culture et son commerce. Le colon a donné un grand coup de botte dans le tissu de notre société, bouleversant la hiérarchie pour mieux l’affaiblir.

La Mauritanie indépendante s’est inscrite de gré ou de force dans le prolongement de l’état colonial. Notre premier président reflète cette continuité. C’est un guerrier fortement imbibé de la culture maraboutique. Lorsque les militaires lui ont « retiré leur confiance » et qu’ils l’ont remplacé par un guerrier, le bateau fut livré aux vagues. Nous sommes entrés dans un conflit de succession.

Puis vint le marabout Maaouwia qui réussit à redresser la barre et stabiliser l’état durant vingt et un ans. Il fut détrôné par son bras droit le guerrier Aziz, lequel par une autre logique s’est fait remplacer lui-même par son bras droit le marabout Ghazouani.

Cette dernière décennie s’est caractérisée par l’extinction de la majorité et de l’opposition, la prolifération des chiffres chimériques et l’incertitude dans les programmes. La justice patine, la sécurité se fait attendre et l’enseignement se détériore. La riche Mauritanie n’arrive pas à retrouver le niveau de vie qu’elle est en droit d’attendre de ses abondantes ressources naturelles.

La question qui se posera au peuple mauritanien en 2029 est qui choisir, un guerrier ou un marabout ? Avant de répondre à la question, il faut remarquer que les deux périodes de stabilité correspondent alternativement à un guerrier et un marabout. A remarquer aussi qu’elles se sont soldées toutes les deux par un coup de force, guerrier ou marabout.

On peut aussi, constater que la somme des périodes Aziz et Ghazouani fait sensiblement celle de Maaouwiya ou celle de Daddah. En somme il y a eu, jusqu’à présent une alternance presque parfaite entre le règne guerrier et le règne maraboutique.

Cela a commencé par une fréquence de vingt ans, puis dix ans et pourquoi pas, prochainement, cinq ans ? Pour l’avenir il est difficile d’anticiper sur une période de quatre ans vu le changement rapide que connait le monde d’aujourd’hui et la mauvaise visibilité qu’offre notre paysage politique actuel.

Avant 2028, il est vraiment prématuré de pronostiquer. Néanmoins les données actuelles nous permettent d’émettre une projection grossière avec une grande marge d’erreur. Nous voyons déjà se profiler, entre autres, trois coureurs à l’horizon : Birame qui connait bien le jeu de la longueur d’avance que lui procure sa liberté. Les autres sont tenus par la réserve de leur fonction autant en profiter.

Cela dit, attention à l’échauffement qui épuise avant la course. Mais on ne sait pas si Birame jouera son ethnie, sa région ou sa tribu. De toutes les façons il est tenu lui aussi par les signatures municipales qui conditionnent sa candidature. Le premier ministre qui semble jouir de la confiance du palais a de solides assises populaires.

Son passage à la Snim a confirmé son allure d’homme d’action. Le ministre de la défense qui a le soutien de l’armée possède plus d’une carte dans ses manches. Il détient le record de longévité dans les hautes sphères du pouvoir.

Son sérieux et sa rigueur lui seront d’une grande utilité. Si Birame se mettait à jouer l’équilibriste entre le guerrier et le marabout nous assisterions à la même alternance et cette fois-ci ce sera le tour du guerrier. Si par contre il pensait que c’est lui le gagnant potentiel et que les autres n’ont qu’à bien se tenir, là l’alternance prendrait une autre forme, civil ou militaire par exemple, que les électeurs sanctionneraient à leur manière.

Dans tous les cas de figure, nos élections n’ont jamais donné un candidat-surprise, il faudra donc attendre patiemment les prochaines élections pour en savoir plus sur le sort que nous réservera l’avenir. Puisse Allah nous épargner les mauvaises surprises et guider nos pas sur le droit chemin.

Elbouss



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Commentaires (3)

  • ouldsidialy (H) 10/06/2025 19:42 X

    La classification en guerrier/ marabout pour un profane comme moi est très ludique. mais elle peut aussi être une piste, pour ceux qui veulent faire le travail d'établir une anthropologie historique. A condition de ne pas confondre phylogénie généalogique et phylogénie anthropologique.

    1) Côté ludique, l'article m'apprend quelque chose que j'ignorais totalement : Moktar o Daddah (paix à son âme) aurait été de souche guerrière. Je m'étais fait admettre qu'il était de la faction oulad Ntachayet issu de certains tendgha accompagnant l'immense Cheick Sidiya, qui en son temps s'établit parmi les ouled abyeri. Oulad abyeri, faction béni Hassan et guerrière virent réunies par usage, sous le même vocable, toutes sortes de factions ; au point que les oulad abyerie à proprement parlé, seraient minoritaires sous ce vocable. De façon simpliste, sans doute, je mettais les ouled Ntechayet comme marabout. Ce serait donc faux.

    2) Les " marabouts" sont souvent d'anciens guerriers et de nombreux guerriers ont pu être marabouts. De plus les tendgha "arrivées sur le tard" du souss- draa, n'ont sans doute pas toujours été marabouts. D'authentiques beni hassan sont aussi parfois marabouts etc.

    3)pris comme cela , c'est très ludique mais d'intérêt historique limité, si cela n'est pas inclus dans une matrice de travail scientifique.

  • ouldsidialy (H) 10/06/2025 18:24 X

    En Mauritanie, les bidhan , peuple négro-berbéro-arabe par le sang , identitairement arabe sans aucune ambiguïté, ont une singularité dans les discussions, entre eux, à caractères historiques. Cela est dû au fait qu'il existe chez les maures un imaginaire identitaire plutôt "séculier" très empreint de religieux à coté d'un imaginaire identitaire plutôt " religieux" mais fortement séculier.

    1)Les classiques biz biz entre "guerriers" et" Marabouts" aveuglent les bidhan au point de les empêcher de faire de l'histoire et construire leur histoire. Ils passent à côté de l'examen de faits qui réconcilieraient pourtant leurs imaginaires. Il n'y a pas que les bidhan, parmi les Sahéliens, qui se mettent dans ce genre de situation.

    2) Ici, sans surprise, le propos de l'auteur ne s'inscrit pas dans une logique primordialement historique, linguistique ou religieuse. C'est dommage, car il est truffé de connaissances et informations très intéressantes issues de ces discours là.

    3) A titre d'exemples, l'auteur fonde sans raisonnement en semblant ignorer que le processus d'arabisation des langues et du sang de l'Afrique du Nord ( et des maures) a commencé plusieurs siècles avant la naissance de l'Islam. Il semble aussi négliger que la migration importante d'arabes Hilaliens à partir du X°, c'est faite dans un Maghreb déjà en cours d'islamisation depuis 2 siècles, avec un portage également autochtone. Il ne tient pas compte de l'Etat d'islamisation dynamique des beni hillal eux-mêmes, en ces temps-là . Il ne semble pas non plus avoir une vision claire de ce qu'étaient les arabes du Nord et du centre de l'Arabie . Arabes du Nord, à partir desquels se sont formés les ensembles beni hilal et beni souleym. Il se représentent les beni hilal traversants 4 siécles au maghreb et identiques à ce qu'ils étaient à leur arrivée en Egypte etc etc

    4) De la même manière un bidhani "d'un autre bord" ne prendra pas la peine de préciser qui étaient et que sont devenus , au fil du temps, les migrants arabes du sud, Qathani . Le " bord zawaya" est souvent satisfait à évoquer cette migration qui s'est produite avant le 5° siècle et qui lui fait "attraper par la queue" l'arabité du sang. Mais il se soucie peu de son devenir factuel , par la suite .

    La réalité est que ce bord-là n'a pas besoin de Himyar, pour établir sa profonde et réelle arabité. Mais pour cela, il faudrait s'atteler un peu plus à l'histoire et l'anthropologie et moins à ce qui reste d'enjeu sociétal, dans la question.

  • analagjar (H) 10/06/2025 13:40 X

    Une analyse un tantinet provocatrice mais qui repose malgré tout sur des éléments d'histoire et de faits... Il est vraiment grand temps que nos concitoyens se départissent de ces positionnement ethnocentristes dépassés et choisissent à l'avenir des personnes crédibles qui ont fait leurs preuves dans la vie (et quelque soit leur origine ou statut) et qui ont une vision unificatrice pour mettre enfin notre pays sur le chemin de la stabilité et du développement...Pour cela il faudrait que le dialogue à venir adopte une feuille de route consensuelle et que le peuple exige par son implication totale ( si nécessaire par des manifestations puissantes et permanentes) son exécution pleine et entière dans les faits...