10-06-2025 14:30 - Mauritanie, l’ascension d’un pivot africain / PAR Jean-Baptiste Noé

Mauritanie, l’ascension d’un pivot africain / PAR Jean-Baptiste Noé

Atlantico - Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits. Il est auteur notamment de : La Révolte fiscale. L'impôt : histoire, théorie et avatars (Calmann-Lévy, 2019) et Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015)

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Dans un Sahel bousculé par les coups d’État et l’enlisement sécuritaire, la Mauritanie trace un chemin à part. Ce pays charnière entre Maghreb et Afrique subsaharienne, s’affirme comme un modèle de stabilité politique, de diplomatie d’équilibre et d’ambition énergétique.

En dépit de défis persistants – changement climatique, pressions migratoires, vulnérabilités économiques – il démontre que l’effondrement n’est pas une fatalité. Une trajectoire qu’il faut lire à travers les faits, les chiffres, et les paris posés sur l’avenir.

Une stabilité politique consolidée

La Mauritanie est l’un des rares pays sahéliens à avoir connu une transition démocratique pacifique durable ces dernières années. L’élection de Mohamed Ould Ghazouani en 2019, suivie de sa réélection en 2024, s’est déroulée sans heurts majeurs. Ce climat apaisé a permis le retour du dialogue politique, la décrispation du rapport avec la société civile et des avancées sur la gouvernance : en 2024, le pays s’est hissé à la 33e place du classement mondial de Reporters sans frontières, le meilleur score pour un État africain.

Sur le plan continental, le président Ghazouani a renforcé le rôle de la Mauritanie comme médiateur discret. En 2024, lors de sa présidence tournante de l’Union africaine, il a œuvré à apaiser les tensions internes au G5 Sahel, tout en soutenant des efforts de dialogue entre le Mali et ses partenaires. Une mandature saluée pour son pragmatisme et sa capacité à générer du consensus. De la gouvernance à l’intégration économique en passant par les enjeux climatique, Nouakchott a su imposer un style sobre, orienté résultats. Une manière discrète mais ferme de faire entendre la voix mauritanienne dans le concert des nations africaines.

Cette stature régionale se confirme aujourd’hui à travers la candidature de Sidi Ould Tah, ancien président de la BADEA, à la tête de la Banque africaine de développement. Soutenu par Nouakchott et de nombreux pays en Afrique et dans le monde, ce technocrate reconnu illustre l’ambition du pays de peser davantage dans les grandes institutions africaines.

Une stratégie sécuritaire saluée

Alors que l’insécurité mine le Sahel central, la Mauritanie n’a enregistré aucun attentat sur son sol depuis 2011. Une performance saluée par le colonel Charles Michel, attaché de défense français, qui évoque une « victoire dans les dunes », preuve que « l’enlisement sécuritaire du Sahel n’a rien d’inéluctable ».

Cette réussite repose sur une combinaison de facteurs : réforme militaire, enracinement local, politique de déradicalisation et intégration de l’islam modéré dans la réponse sécuritaire. À l’heure où le repli militaire des partenaires occidentaux laisse un vide, cette approche pragmatique attire l’attention des acteurs régionaux et internationaux.

Le pari gazier, une opportunité géostratégique

La Mauritanie aborde un tournant économique majeur avec l’entrée en production du champ gazier offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), développé avec le Sénégal, BP et Kosmos Energy. Ce gisement, l’un des plus importants d’Afrique de l’Ouest, renferme 15 trillions de pieds cubes de gaz récupérable. La première phase, démarrée début 2025, vise 2,5 millions de tonnes de GNL par an, avec une montée en puissance prévue jusqu’à 10 millions. Il s’agit de l’un des plus grands gisements d’Afrique, dont l’exploitation pourrait rapporter entre 80 et 90 milliards de dollars sur vingt ans, un potentiel énorme qui suscite des convoitises, notamment de la part de l’Europe.

Ce gaz intéresse particulièrement l’Europe, à la recherche de nouveaux fournisseurs depuis la crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine. Proximité géographique, stabilité politique, volumes significatifs : la Mauritanie coche les cases d’un partenaire stratégique pour la sécurité énergétique européenne. En mai 2022 déjà, l’Allemagne s’est positionnée : en visite à Dakar, le chancelier Olaf Scholz a explicitement évoqué une future coopération gazière, le président sénégalais d’alors Macky Sall, se disant « prêt […] à alimenter le marché européen en GNL ».​

Hydrogène vert et mix énergétique en mutation

Mais Nouakchott ne veut pas s’enfermer dans une dépendance aux hydrocarbures. Le pays s’efforce de verdir son économie et mise sur ses atouts naturels — ensoleillement et vents constants — pour accélérer la transition énergétique. Près de 38 % de l’électricité provenait déjà des renouvelables dès 2018, et l’objectif est d’atteindre 50 % d’ici 2030.

Surtout, la Mauritanie s’affirme comme une future plateforme de l’hydrogène vert. Deux projets phares ont été lancés : Aman (40 GW) et Naphta (10 GW), portés par des consortiums européens. À terme, ces complexes pourraient transformer le pays en exportateur d’ammoniac et de méthanol propre vers l’Europe et l’Asie, tout en générant des emplois locaux et des infrastructures.

C’est aussi une réponse aux effets du changement climatique, qui affecte déjà 80 % du territoire, entre désertification, raréfaction de l’eau et montée des eaux à Nouakchott.

Crise migratoire : l’autre frontière à gérer

Mais le pays se retrouve aussi au centre d’un autre drame : celui des migrations clandestines. Plus de 500 corps de jeunes Africains ont été repêchés sur les rivages mauritaniens sur la seule année 2024, et déjà plus d’une centaine sur les premiers mois de 2025​. Tous tentaient de rejoindre les îles Canaries, dans une traversée périlleuse devenue l’un des axes majeurs de la route atlantique vers l’Europe. La Mauritanie est devenue un point de transit majeur vers l’Europe, avec un afflux croissant de jeunes d’Afrique de l’Ouest.

Face à cette pression, le pays déploie des efforts de contrôle et de secours, mais manque de soutien international. Les moyens logistiques et financiers manquent cruellement pour surveiller plus de 700 km de côtes et secourir en mer les migrants en détresse, alors que la Mauritanie accueille en parallèle près de 100 000 réfugiés maliens sur son sol. Aucune mission européenne de sauvetage n’opère dans ces eaux, et l’aide des partenaires se limite pour l’heure à quelques programmes de développement locaux visant à fixer les populations. Ce quasi-silence des bailleurs sur l’effort humanitaire mauritanien interroge, à l’heure où le pays est salué pour sa stabilité.

La Mauritanie avance. Elle n’a pas cédé aux logiques de rupture, a sécurisé son territoire, renoue avec l’intégration continentale, et prépare son avenir énergétique. Mais les défis restent immenses : une économie peu diversifiée, un chômage élevé, des inégalités sociales tenaces.

La rente du gaz et les promesses de l’hydrogène vert ne suffiront pas. Il faudra renforcer la gouvernance, investir dans l’éducation, et élargir les bénéfices de la croissance. La réussite de Sidi Ould Tah à la BAD, si elle se concrétise, pourrait offrir une caisse de résonance supplémentaire à ce « modèle mauritanien ».

Plus que jamais, ce pays sahélien rappelle qu’il est possible de réconcilier stabilité, ambition et résilience. À condition que l’effort soit collectif – et soutenu.

Par Jean-Baptiste Noé





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Commentaires (1)

  • angenoir (H) 10/06/2025 18:20 X

    Publireportage, ya fatma.