20-06-2025 01:30 - Mauritanie 2025, entre promesses budgétaires, défis énergétiques et ambitions géostratégiques

Mauritanie 2025, entre promesses budgétaires, défis énergétiques et ambitions géostratégiques

En ce mois de juin 2025, la Mauritanie se trouve à un moment charnière. Adoptée plusieurs mois auparavant, la loi de finances pour l'année en cours est désormais mise à l'épreuve du terrain. Derrière les chiffres annoncés avec fermeté, les indicateurs sociaux, les tensions politiques latentes et les réalités économiques complexes nous obligent à reconsidérer l’écart croissant entre projection macroéconomique et perception citoyenne.

Croissance espérée à 5,5 %, investissements publics portés à plus de 50 milliards MRU, cadre programmatique aligné avec la SCAPP 2016-2030 et la DSP-BAD 2023-2028, l’architecture paraît ambitieuse. Mais quel est l'état réel des lieux six mois plus tard ?

Loi de finances 2025, un tournant structurel ?

Le budget prévoit un effort d’investissement inédit, financé à près de 78 % par des ressources internes. Cela marque un volontarisme certain dans un pays où les dépenses de fonctionnement ont longtemps dominé.

Mais ce mouvement est freiné par plusieurs rigidités, lourdeurs de la chaîne de dépense, faiblesse des administrations sectorielles, fragmentation des données. Le déficit estimé à -6,37 milliards MRU, couplé à une exécution lente des projets, révèle une tension entre ambition et capacité réelle.

Le Code des Marchés Publics 2021-024, censé renforcer la transparence, reste faiblement appliqué, plusieurs appels d’offres restent sans suite ou font l’objet de contestations récurrentes.

Gaz et pétrole, opportunité ou mirage ?

Le projet GTA-Tortue symbolise une promesse de transformation économique. Pourtant, l’expérience des rentes extractives en Afrique appelle à la vigilance. Ce que les économistes appellent le syndrome hollandais décrit un phénomène où l'afflux massif de revenus liés aux ressources naturelles provoque l'appréciation de la monnaie locale, rendant les autres secteurs, industrie, agriculture, moins compétitifs.

Cela conduit souvent à une surdépendance à la rente et à une marginalisation des activités productives. En l’absence de plan clair de redistribution et d’épargne intergénérationnelle, les déséquilibres risquent de se creuser. La mise en place d'un Fonds Souverain reste en discussion, tout comme l’évaluation ESG des opérateurs impliqués.

SCAPP 2016-2030 et DSP-BAD 2023-2028, quel véritable ancrage ?

Si la SCAPP affiche des objectifs de transformation structurelle, sa territorialisation reste faible. Le niveau communal est peu impliqué, les données locales sont lacunaires, et les indicateurs de suivi sont rarement ventilés régionalement.

La DSP-BAD prévoit une concentration sur les infrastructures et l’accès aux services. Mais en pratique, les délais de décaissement et les problèmes de cofinancement réduisent leur impact.

L’architecture juridique reste par ailleurs peu adaptée, le droit du commerce, le code des investissements, et le système de régulation économique souffrent d’instabilité et de faible sécurité juridique.

Croissance partagée, utopie ou vrai progrès social ?

Selon les données du Bureau National des Statistiques, le chômage des jeunes avoisine 23 %, avec des niveaux probablement plus élevés dans certaines régions rurales. Le SNIF, présenté comme vecteur d’inclusion financière, touche une part encore limitée des populations cibles, en raison d’obstacles bancaires, d’une faible culture numérique, et d’une désertification des agences.

L’accès à l’éducation secondaire et aux soins de base reste inégal, la part du budget allouée à la santé reste à documenter précisément mais demeure en deçà des objectifs d’Abuja. À mi-parcours, l’année 2025 ne montre pas de virage social net.

Mauritanie à la tête de la BAD, opportunité géostratégique ?

L’élection d’un Mauritanien à la présidence tournante du Conseil des Gouverneurs de la BAD renforce la visibilité du pays. Ce mandat pourrait faciliter l’attraction de projets structurants, routes, zones franches, corridors ferroviaires. Ce dernier point mérite d'être nuancé, la Mauritanie dispose d’une ligne ferroviaire opérée par la SNIM reliant Zouerate à Nouadhibou, principalement pour le transport du minerai de fer.

Si cette infrastructure constitue un actif logistique important, elle reste peu exploitée dans une logique de développement territorial ou d’intégration régionale. Pourtant, plusieurs projets visent à étendre son usage à des flux agricoles ou transfrontaliers, ce qui pourrait donner corps à un véritable corridor économique.

Mais à ce jour, la capacité de préparation technique des projets reste faible, et le taux d’exécution moyen des projets BAD-Mauritanie plafonne à 53 %. Le décalage entre l’opportunité politique et l’opérabilité technique est une alerte. Dans un environnement sous-régional instable, avec un Sahel en reconfiguration et des flux migratoires en hausse, cette position doit être mise au service d’un agenda régional concerté.

La loi de finances 2025 était porteuse d’espoir. Six mois plus tard, les premiers signaux sont contrastés. Si la démarche budgétaire est mieux structurée, les chaînes d’exécution, les dispositifs sociaux, et la gouvernance économique peinent à suivre.

Le pays est confronté à une triple tension, sociale, institutionnelle et géopolitique. La mutation annoncée doit être consolidée par une capacité à transformer les flux financiers en droits réels, à assainir les marchés publics, à reconstruire les échelles de confiance. La Mauritanie peut franchir un cap, mais seulement si elle assume de gouverner autrement, avec rigueur, avec justice, avec vision.

Mansour LY



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Source : Mansour LY
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