10-07-2025 11:28 - Construire la nation, une mémoire qui nous rassemble et nous répare

Mansour LY -- « Une nation qui ne sait pas se souvenir est condamnée à se répéter. » Paul Ricœur
Se souvenir n’est pas se figer dans le passé, mais s’en libérer pour mieux inventer demain. Parce qu’il ne suffit pas de vivre côte à côte, il faut apprendre à se comprendre, à se reconnaître, à se dire. Nous n’avons pas à craindre nos différences si nous apprenons à les raconter ensemble.
Car la Mauritanie est née d’une rencontre, une terre au carrefour du Maghreb et du Sahel, façonnée par les vents du désert, le rythme du fleuve, les voix entremêlées de peuples, de langues et de traditions.
Hassanya, Pulaar, Soninké, Wolof, ces langues ne sont pas seulement des mots, elles sont la mémoire vive de nos ancêtres, la poésie des veillées sous la tente, la sagesse des palabres qui savaient réconcilier.
Pourtant, il faut le dire avec honnêteté, cette terre porte des blessures. Esclavage, inégalités, exils silencieux, et des hiérarchies héritées qui continuent parfois d’empoisonner nos rapports. Ces douleurs appartiennent à notre histoire. Et comme le dit Amin Maalouf « L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. »
En parler n’est pas accuser. C’est libérer. C’est soigner. Nous avons besoin de cette humilité qui nous pousse à regarder nos cicatrices en face, sans honte ni déni, pour choisir ensemble de les guérir.
Car ce qui nous unit vraiment, ce n’est pas le silence. C’est la parole. Ce n’est pas l’oubli. C’est la mémoire partagée. Il nous faut donc décider, voulons-nous transmettre la peur et la méfiance, ou bien la confiance et la fraternité ? C’est ce choix qui dessinera notre avenir.
Honorer la mémoire, affirmer une promesse
C’est dans cet esprit qu’un geste apparemment simple prend toute sa force, nommer aujourd’hui le centre international de conférences au nom de Mokhtar Ould Daddah, premier Président de la Mauritanie. Ce n’est pas un acte anodin ni un hommage figé. C’est reconnaître celui qui, le premier, a porté l’idéal d’un État moderne, uni et républicain.
Lui donner ce nom, c’est affirmer la volonté de prolonger cette promesse, construire une société équitable, ouverte à tous ses enfants sans distinction. Reconnaître sa mémoire, c’est accepter la nôtre. C’est dire, nous savons d’où nous venons. Nous savons ce qui nous a divisés. Et nous voulons faire autrement. Cet hommage n’a de sens que s’il nous engage, il ne doit pas rester un symbole vide, mais devenir le socle d’un projet commun.
Le temps du dialogue national
Car pour donner vie à cette promesse, il faut un dialogue national sincère, ouvert et courageux. Un dialogue qui ne soit pas une formalité ou une simple vitrine politique, mais une véritable rencontre, un espace où toutes les voix comptent, où l’on écoute réellement ceux qui portent les blessures, les colères ou les espoirs. Ce dialogue ne sera ni facile ni confortable, il exige courage et franchise pour entendre ce qu’on préférerait taire.
Car le manque de dialogue est toujours fertile en divisions. Nous n’avons pas à chercher bien loin pour en mesurer le prix, tout autour de nous, le Sahel brûle. Des villages entiers se sont vidés, des communautés autrefois unies se sont déchirées. Parce que quand le dialogue se rompt, les identités deviennent des armes et les différences des frontières sanglantes.
Ces drames ne sont pas étrangers ni inévitables. Ils sont le résultat d’un dialogue refusé, retardé ou biaisé. Nous devons prendre la pleine mesure de ce qui est en jeu, la paix, la cohésion, la confiance. Il ne s’agit pas seulement de solder des comptes ou de soigner des blessures anciennes. Il s’agit d’empêcher qu’elles ne s’ouvrent à nouveau, qu’elles ne nourrissent d’autres fractures. C’est à nous tous, parents, enseignants, imams, élus, d’oser ces mots qui parfois brûlent mais guérissent.
Pour une mémoire vivante et partagée
Parce qu’une mémoire collective ne peut pas être un simple décor ou un rituel officiel, elle doit rester vivante, respirer dans nos traditions, nos contes, nos proverbes, nos langues. Elle doit se transmettre à nos enfants, non pour raviver la haine, mais pour leur enseigner la responsabilité et la solidarité.
Car la stabilité, nous le savons, n’est jamais acquise. Elle se construit chaque jour, dans nos familles, nos écoles, nos mosquées, nos marchés. Elle se tisse dans la patience, l’écoute et la justice. Comme le vent du désert porte les paroles, sachons y semer celles qui apaisent et rassemblent.
Pour y parvenir, il nous faut un dialogue vrai, un dialogue qui écoute toutes les voix, même les plus discrètes. Un dialogue qui n’a pas peur de la vérité, mais qui la dit avec pudeur et respect. Un dialogue qui ne se ferme à personne.
Ainsi, notre diversité deviendra notre force. Ainsi, nous pourrons dire, la Mauritanie est une. Une dans sa pluralité. Une parce que nous aurons eu le courage de la choisir et de la construire ensemble.
Mansour LY