16-10-2025 16:37 - Mauritanie – Scandale du marché des tables bancs : la montagne aurait accouché d'une souris

 Mauritanie – Scandale du marché des tables bancs : la montagne aurait accouché d'une souris

Kassataya -- On l’avait présenté comme l’un des plus grands scandales de la commande publique de ces dernières années. Un parfum de gabegie, des rumeurs de surfacturation, de livraisons fictives, de commissions et rétrocommissions potentielles.

L’affaire avait tous les ingrédients pour tenir le pays en haleine : des hauts responsables limogés, un rapport de l’IGE brandi comme une épée de Damoclès, et surtout, des allers-retours incessants chez le Procureur. Bref, un scénario bien ficelé. Mais voilà que, plusieurs semaines plus tard, la montagne semble avoir accouché d’une souris. Pire, elle aurait même disparu dans un nuage de fumée.

À l’issue du Conseil des ministres du 02 septembre 2025, quatre hauts cadres du ministère de l’éducation nationale sont relevés de leurs fonctions : Mesdames Hawa Yoro DIA et El Kahla AGJIEIL, respectivement Directrice Générale de l’Enseignement et Directrice de l’Administration et des Finances, ainsi que Messieurs Abdallah Sow et Idrissa KEBE, le premier responsable du Patrimoine et de l’entretien, le second président de la commission de passation des marchés publics du MERSE. Le ton est donné : l’État entend frapper fort.

L’inspection générale d’État évoque des manquements graves dans l’exécution du marché de fourniture de tables-bancs. On imagine déjà des classes fantômes, des livraisons introuvables, et des marchés attribués dans l’opacité la plus totale.

Mais très vite, quelque chose cloche. Le fameux rapport de l’IGE, censé documenter ces « manquements graves », est introuvable. En tout cas pas chez les mis en cause ni dans la presse, encore moins dans les salons feutrés de certains privilégiés.

Le principe du contradictoire qui gouverne les rapports de contrôle est foulé au sol, à l’autel de la précipitation et de la présomption de culpabilité. On jette l’opprobre sur les mis en cause qui sont livrés à la vindicte populaire.

Pourtant, à la suite de leur limogeage, l’affaire est instruite avec sérieux : auditions à la chaîne, convocations tous azimuts à la police des crimes économiques, dans ce qui s’apparente à un marathon judiciaire. Et pourtant les semaines passent, les soupçons s’effilochent, et les mis en cause sont invités à rentrer chez eux.

Sans inculpation ni procès. L’enquête, qui n’a révélé ni préjudice pour l’État ni enrichissement illicite, semble se diriger vers un classement sans suite, d’autant que le marché, attribué au premier moins-disant qualifié, a été validé à la fois par l’autorité de régulation des marchés et la commission de contrôle des marchés.

L’enquête de police aurait révélé que la totalité des tables-bancs, objet du marché, a bien été livrée, réceptionnée, et ce en présence des autorités locales. Pas de malversations, pas de détournements, et donc, pas de poursuites? Juste un bon gros bruit médiatique. Alors, on s’interroge. L’IGE se serait-elle un peu emballée ?

A-t-on sacrifié quelques hauts cadres, sans preuves tangibles, pour répondre à une exigence de « moralisation » aussi soudaine qu’aveugle ?
 Ou alors, avons-nous simplement assisté à un excès de zèle, dans un pays où les vrais scandales, eux, finissent souvent par être étouffés dans le silence et l’impunité ?

Actualité oblige, nos limiers économiques et moralisateurs des ténèbres devraient s’approprier des conclusions sans appel du rapport 2025 de la Cour des comptes, qui dans une rigueur implacable respectant le principe du contradictoire, a épinglé la gestion de ministres et gestionnaires de projet qui ne sont guère inquiétés malgré la lourdeur des charges.

Pendant ce temps, le mal est fait : des carrières entachées, des réputations ternies. Il règne aujourd’hui un climat de suspicion généralisée autour des marchés publics, et une confusion générale entre la passation, le contrôle, l’exécution et la régulation.

Pourtant les fameux tables-bancs sont dans des écoles, les élèves s’asseyent dessus, pendant que leurs supposés détourneurs ruminent en silence. Alors oui, l’affaire des tables-bancs du MERSE a bien fait du bruit. Mais pour finir, elle aurait surtout fait… pschitt.

Mamoudou Baidy Gaye dit Alia Gaye



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Commentaires (2)

  • Elephantblanc2009 (H) 16/10/2025 17:36 X

    Ce résultat ne surprend guère les personnes avisées. On pressentait déjà qu'aucune mesure ne serait prise contre les véritables responsables. Il semblerait que les détournements soient tacitement encouragés, notamment lorsqu'ils concernent des membres d'une même communauté. Force est de constater que nos institutions de contrôle souffrent d'un déficit de crédibilité. L'Inspection Générale d'État et la Cour des Comptes paraissent incapables d'établir des faits qui convaincraient les Mauritaniens, permettant ainsi aux auteurs de malversations d'échapper aux sanctions. Les fonctionnaires mis en cause, souvent des Mauritaniens noirs, se retrouvent désignés comme boucs émissaires dans le secteur de l'éducation nationale, alors même qu'ils n'ont ni commandé ni signé les documents officiels, servant uniquement à détourner l'attention de l'opinion publique.

  • Elephantblanc2009 (H) 16/10/2025 17:36 X

    Le même phénomène se reproduira probablement avec le rapport de la Cour des Comptes, sans conséquences significatives. D'ailleurs, le président de cette institution a déjà préparé le terrain en minimisant la portée de ce document qui devrait normalement entraîner des conséquences politiques graves et des incarcérations. La Cour a d'ores et déjà relativisé les faits en qualifiant les détournements de simples "erreurs de gestion". Pendant ce temps, les fonds publics disparaissent lors de festivités dans les environs de Nouakchott, sans que les véritables responsables ne soient inquiétés.