13-12-2025 16:45 - Pour une mémoire apaisée et une cohésion nationale préservée
Nul peuple n'échappe aux épreuves de l'histoire. La Mauritanie, terre de convergences et de brassages séculaires, porte en elle des blessures que le temps seul ne saurait cicatriser. Mais la sagesse commande que ces blessures, loin de devenir des armes tournées les uns contre les autres, se transforment en socle d'une réconciliation véritable et durable.
Marc Aurèle nous enseigne que l'obstacle au chemin devient le chemin. Ainsi, le passif humanitaire, dans toute sa tragédie, peut-il devenir le creuset d'une nation plus forte, plus unie, plus consciente de la fragilité de la paix civile et de la nécessité impérieuse de la préserver.
Depuis la nuit des temps, les différentes composantes de la nation mauritanienne ont vécu en parfaite harmonie. Maures, Peuls, Soninkés, Wolofs, tous ont tissé ensemble la trame d'une société où la diversité était richesse, où la différence était source de complémentarité.
Les mariages inter-communautaires, les échanges commerciaux, les alliances politiques et les solidarités de voisinage ont forgé, au fil des siècles, une identité mauritanienne plurielle mais une. Cette harmonie n'était pas un mythe romantique ; elle était le fruit d'une sagesse pratique, d'un art de vivre ensemble que nos ancêtres avaient perfectionné.
Nul ne peut saisir la profondeur de l'injustice comme ceux qui l'ont vécue dans leur propre chair. C'est ainsi que nous, Ehl Sahel, dont les mémoires sont marquées par des souffrances partagées, portons en nous une sensibilité particulière face au poids de ce passé humanitaire. Durant toute la période de la guerre du Sahara, nous avons subi l'emprisonnement arbitraire, sans distinction d'âge, mais c'est surtout notre jeunesse qui a enduré les arrestations abusives et le poids de la torture.
Nos maisons, ces espaces supposés être des sanctuaires, faisaient l'objet de contrôles quotidiens, accentués de brimades et d'insultes, nous laissant sans moyen de défense, vulnérables. Les détenteurs de cartes d'identité des villes du Nord se faisaient arrêter partout à chaque contrôle, et heureux ceux qui pouvaient repartir après quelques heures de détention.
Nos contradicteurs répétaient avec une assurance déconcertante que nous n'étions pas Mauritaniens, ignorant l'absurdité de cette assertion : notre territoire est mauritanien, mais nous, non. Une négation qui blessait l'essence même de notre appartenance.
Cette expérience douloureuse nous confère une compréhension intime de ce qu'ont vécu nos frères négro-mauritaniens lors des événements tragiques de 1989-1991. La souffrance n'a pas de couleur, pas d'ethnie, pas de région. Elle est universelle dans sa brutalité, et c'est précisément cette universalité qui doit fonder notre solidarité.
Il est impératif de distinguer clairement entre l'État, en tant qu'appareil sécuritaire institutionnel, et les composantes de la nation. Les exactions commises, qu'il s'agisse des persécutions durant la guerre du Sahara ou des tragédies du passif humanitaire, sont le fait de l'État, de ses agents, de ses dérives autoritaires. Elles ne sont en aucun cas imputables à une communauté nationale contre une autre.
Confondre l'État avec une ethnie, c'est commettre une erreur fatale qui ne peut que perpétuer les divisions. L'État mauritanien a failli à sa mission de protection de tous ses citoyens, Maures du Nord comme Négro-Mauritaniens du Sud. Cette faillite est celle des institutions, non celle d'un peuple contre un autre.
À ceux qui détiennent le pouvoir de la parole, intellectuels, politiques, leaders d'opinion, journalistes, incombe une responsabilité historique. Les mots peuvent guérir comme ils peuvent incendier.
Dans une société où les plaies du passé ne sont pas encore refermées, chaque discours, chaque écrit, chaque déclaration porte en germe soit la réconciliation, soit la discorde. Souffler sur les braises, c'est réveiller les rancœurs au lieu de les apaiser. C'est instrumentaliser la douleur des victimes à des fins partisanes. C'est sacrifier la paix civile sur l'autel des ambitions personnelles ou des calculs politiciens.
Les élites ont le devoir de montrer l'exemple. Elles doivent prôner le dialogue plutôt que l'affrontement, la compréhension plutôt que la condamnation, la justice plutôt que la vengeance. Le passif humanitaire existe ; il est une réalité douloureuse que nul ne peut nier. Mais cette réalité, aussi sombre soit-elle, peut devenir le ferment d'une nation réconciliée si nous choisissons collectivement la voie de la sagesse.
Cette voie exige la reconnaissance de toutes les souffrances, celles des Négro-Mauritaniens déportés, torturés, assassinés entre 1989 et 1991, comme celles des Maures du Nord persécutés durant la guerre du Sahara. Elle exige que justice soit rendue, que les victimes soient réhabilitées, que leur mémoire soit honorée.
Mais cette voie exige aussi que nous refusions la logique de l'affrontement communautaire, que nous reconnaissions que le bourreau n'avait pas de visage ethnique mais le visage anonyme de l'appareil d'État, que nous comprenions que la victime, quelle que soit son origine, mérite la même compassion, le même respect, la même soif de justice.
La Mauritanie de demain se construit aujourd'hui, dans chacune de nos paroles, dans chacun de nos actes. Nous pouvons choisir de rester prisonniers du passé, de ruminer nos griefs, de cultiver nos ressentiments. Ou nous pouvons choisir de faire de ce passé douloureux le fondement d'un avenir commun. L'obstacle au chemin devient le chemin, le chemin vers une nation réconciliée, juste et fraternelle. À nous, Mauritaniens de toutes origines, de le prouver.
Jemal Moctar Ellahi
Ancien député de Nouadhibou.
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