09-05-2013 02:27 - Scène politique : La stratégie du pourrissement

Scène politique : La stratégie du pourrissement

Depuis l’annonce de la date des élections, par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), et, plus récemment, la réponse, positive, de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), à l’initiative de Messaoud Ould Boulkheir, on assiste comme à une espèce d’attentisme, pour ne pas dire hésitation, au sein de la classe politique.

On s’attendait à une accélération des préparatifs pour les élections. Or, les choses semblent plutôt se tasser. La majorité présidentielle ou, plus exactement, le président de la République – seul en mesure de décanter la « tension politique », pour les uns ; la « crise politique », pour les autres – fait durer le suspens.

De son côté, le président Messaoud Ould Boulkheir n’a toujours pas commenté la réponse de la COD. Ce qui ne manque pas d’ajouter aux nombreuses interrogations. Sa conférence de presse, annoncée depuis quelque temps, continue à se faire désirer.

« Le facilitateur national » est-il en train d’étudier le contenu du document et de peaufiner sa stratégie, en attendant la réponse du palais gris ? Par ailleurs, aucun parti politique, excepté El Wiam de Boydiel Ould Houmeïd, n’est entré véritablement en précampagne.

Scepticisme ambiant

Du côté des autres acteurs politiques, certains – tant de la majorité que de l’opposition – avouent, en off, leur scepticisme sur à la tenue des élections à la date prévue par la CENI. Leur argument ? L’absence de préparations en amont et le silence du président de la République. En effet, il paraît difficile de tenir le délai de la CENI, sauf si l’arbitre et juge qu’est le président de la République décide, comme l’ont dit certains mais aussi le président Boydiel, que « les élections auront lieu, même sans la COD ».

Une éventualité qui risque fort de renforcer la Mauritanie dans la tension politique qu’elle vit depuis juillet 2009. Aucun camp ou pôle politique n’y a intérêt. En l’acceptant, ils auront tous sacrifié la démocratie mauritanienne ou ce qui en tient lieu aujourd’hui. Les Mauritaniens pourraient perdre patience, après avoir commencé à perdre, si ce n’est déjà fait, confiance en leurs institutions démocratiques que sont le Parlement et les municipalités.

La majorité de ces dernières baigne, quoiqu’on veuille dire ou entretenir, dans un monumental immobilisme, pour ne pas dire léthargie. Notre administration ne se porte guère mieux. D’où l’urgence et l’obligation, même, pour le président de la République, de prendre ses responsabilités, afin que la Mauritanie sorte de son « anormalité » politique.

L’impression est quasi-générale, chez des observateurs et les acteurs politiques : le pouvoir en place leur paraît avoir opté pour une stratégie de pourrissement, visant à repousser l’échéance jusqu’au couplage des élections présidentielle, municipales et législatives. Une stratégie nouée autour du président de l’Assemblée nationale, désormais incontournable pour toute solution de sortie de crise.

En répondant positivement, pour commencer, à la solution de sortie de crise du président de l’Assemblée nationale ; et en discutant, donc, avec l’opposition qui n’avait pas été au dialogue de 2011. Même si l’accord intervenu avec les trois partis politiques de l’opposition a été salué et reconnu comme une avancée significative, la CAP demeure convaincue qu’il est « perfectible ». La réponse du président de la République devrait donc permettre de « perfectionner » l’accord, avec tous ceux qui sont désormais rassemblés au sein de la COD et la LMP.

Concrètement, le nouveau dialogue permettrait d’apporter des retouches aux institutions mises en place au lendemain de l’accord politique de 2011, avec, à l’arrivée, l’implication de toute l’opposition. C’est un gage de confiance dans un scrutin sincère et consensuel.

Pour les Mauritaniens mais, aussi, diverses chancelleries occidentales à Nouakchott, il est, aujourd’hui, incompréhensible que le pouvoir s’obstine à ignorer et l’appel patriotique du président Messaoud Ould Boulkheïr, et les bonnes dispositions de la COD, alors même que le pays réel vit une situation économique peu reluisante, même si, comme l’affirment les experts du FMI, ses performances macro-économiques sont bonnes.

Facteurs à hauts risques

Depuis bientôt deux ans, ces performances n’ont pas impacté positivement, c’est le moins qu’on puisse dire, sur le panier de la ménagère. Aujourd’hui, même si l’on continue à déverser à la rue de copieux restes de repas, en certaines maisons cossues de Tevragh Zeïn, même si certaines nouvelles entreprises s’enrichissent de façon éhontée et exhibitionniste, la grande majorité des Mauritaniens peine à s’offrir deux repas par jour, le chômage des jeunes flambe, l’éducation n’arrête pas de se dégrader – elle se ghettoïse, même – la santé est plus que malade, la CNAM n’y a rien amélioré, du moins pour les maigres bourses – c’est-à-dire, encore, la grande majorité – la violence urbaine est devenue endémique…

A cette piètre situation économique et sociale s’ajoute un environnement géopolitique particulièrement heurtée. Même si la crise au Nord-Mali semble en passe d’être maîtrisée, par les forces franco-maliennes, sans la participation ou, disons-le, la solidarité mauritanienne, l’annonce, par Paris, de la volonté de la Mauritanie d’envoyer des troupes sous pavillon onusien, suscite quelques grincements de dents de certains nationalistes et peur, au sein de la Grande muette qui redoute ce qui est arrivé aux troupes tchadiennes, beaucoup plus aguerries que les nôtres.

On se rappelle que notre armée avait émis des réticences à retourner à Lemgheyti où des terroristes avaient attaqué une garnison. Que se produira-t-il, lorsque les troupes mauritaniennes subiront des pertes humaines ou des représailles ? Au Nord-Mali, il s’agit, désormais, d’une guérilla urbaine, de ratissage particulièrement risqué, et la position de la Mauritanie, accusée, par les Maliens, de parrainer le MNLA, ne jouera certainement pas en faveur de nos soldats. Quant à l’installation de milliers de réfugiés maliens à nos frontières, c’est aussi une bombe à retardement.

Le dernier facteur qui doit interpeller le pouvoir de Nouakchott est ce qui ressemble fort à un règlement de comptes, entre le pouvoir et l’homme d’affaires, Mohamed Ould Bouamatou, exilé volontaire au Maroc. Pour nombre d’observateurs, ce conflit aura de sérieux impacts politiques et économiques, même s’il s’agit d’une affaire de famille. En effet, l’homme d’affaires, qui a lourdement contribué, par ses « réseaux » et son « argent », à installer le président actuel au pouvoir, n’acceptera pas de se laisser « ruiner » sans réagir. D’aucuns commencent à redouter que l’onde de choc des affaires qui défraient la chronique en France ne parvienne en Mauritanie.

Réunis, tous ces facteurs ne manqueront, certainement pas, de peser sur la décision que le président de la République doit prendre, pour mettre fin à une tension politique qui n’a que trop duré. L’opposition ne doit, pas plus, perdre de vue toutes ces menaces. Mieux, toutes ses actions doivent s’inscrire dans la légalité et éviter de faire courir le moindre risque de déflagration au pays. Marcher sur des cadavres, pour aller à la Présidence, ainsi qu’il en fut, en certains pays africains, au début des années 90, n’est pas plus d’actualité. Seul le peuple, à travers son suffrage, doit mener le vainqueur à la présidence. Ces constats et convictions seront-ils suffisants pour (s’)imposer sagesse ? On l’espère, on l’espère…

Daly Lam


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