14-05-2014 11:47 - Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.(10)

Mémoire nationale Mauritanienne : Guerre civile et conquête coloniale au Sénégal.(10)

Adrar-Info - ….La fin de la monarchie et l’essor de l’islam au Kajoor, 1859-1890. Esclavage, politique de « désannexion » et conquête coloniale.

Au cours des années 1890, le Protectorat du Kajoor avait commencé à influencer la politique française alors que les Français se préparaient à étendre leur conquête au reste du Sénégal. Les Français autorisaient le Protectorat au lieu de l’annexer au sein de la colonie du Sénégal.

En 1890, ils tentèrent de généraliser leur expérience au Kajoor. Le Gouverneur Clément-Thomas décrivit la nouvelle politique comme une politique de « désannexion ». La base en était une évaluation positive du Protectorat du Kajoor et le constat d’échec du gouvernement direct au Waalo[1].

La nouvelle politique repoussait certains des principes abolitionnistes qui avaient été imposés par les hommes politiques en France dans les années 1880. Il put justifier une telle mesure en affirmant que la victoire des Républicains au cours des années 1880 était à l’origine de tous les problèmes dans les années 1890.

En 1880, une campagne républicaine fut montée par la presse et par la Chambre de Députés Français contre la pratique de renvoyer les esclaves vers leurs maîtres lorsqu’ils s’étaient réfugiés sur le sol français. Le Ministre de la Marine, Jauréguiberry, dut faire face à des attaques personnelles pour de pratiques qu’il avait permis lorsqu’il était Gouverneur du Sénégal entre 1861 et 1863.

En réponse, Jauréguiberry ordonna au Gouverneur du Sénégal d’appliquer la Loi de 1848 [abolissant l’esclavage] et en particulier son article 7, qui disposait que la présence d’un esclave sur le sol français le libère automatiquement. Jauréguiberry ordonna au Gouverneur de mettre un terme à la pratique de renvoyer les esclaves vers leurs maîtres de manière à éliminer toute ambiguïté.

Le résultat de ce décret fut un mouvement massif de migration des territoires français qui avaient été placés sous gouvernement direct[2]. Cette émigration qui fut conduite par des bergers Fulbe fut d’abord signalé en 1882 et continua au même rythme jusqu’à 1890. Dans la seule zone autour de Saint-Louis, entre 30.000 et 40.000 Fulbe quittèrent le territoire colonial français. Le Gouverneur Clément-Thomas, qui prit ses fonctions en 1888, lança une enquête importante sur les causes de cette migration.

Les conclusions de cette étude justifiaient la politique de désannexion. Clément-Thomas condamna le Bureau des Affaires indigènes qui avait imprudemment interféré avec les traditions et les coutumes des populations placées sous son autorité. L’un de ses premiers actes en tant que Gouverneur fut d’abolir le Bureau intérieur qui « avait complètement détourné les habitants des territoires annexés de l’autorité du gouverneur. » (Saint-Martin 1966 : 150).

À présent, selon Clément-Thomas, ces territoires étaient moins sûrs et plus dangereux que le Protectorat du Kajoor. Si la législation républicaine empêchait le Gouverneur de restreindre l’application de la loi française, les zones géographiques où elle fut appliquée devaient être limitées au strict minimum (Saint-Martin 1966 : 149).

« En substituant un système de Protectorat libéral au régime de l’annexion et du gouvernement direct, nous avons abandonné une pauvre politique qui nous a aliéné les populations indigènes et qui a créé le désert autour de nous. À présent, ces populations devront vivre côte à côte avec nous, contentes de nous obéir parce que nous n’interférerons plus dans leurs coutumes et leurs pratiques et parce qu’elles auront confiance en notre protection qui leur assurera tranquillité et indépendance.[3] » (Saint-Martin 1966 : 151-152).

La désannexion fournit une solution générale au problème de l’esclavage de ce qui avait été réalisé au Kajoor. Au cours de la conquête, les incidents qui avaient conduit à la mort de Samba Lawbé Faal mirent au-devant de la scène le problème posé par l’institution de l’esclavage dans le Sénégal rural. En 1892, Clément-Thomas signa un traité concernant l’esclavage avec tous les chefs des États sous Protectorat ; le traité abolissait le commerce des esclaves et définissait les conditions sous lesquelles un esclave pouvait racheter sa liberté.

Les esclaves de maison étaient dénommés « serviteurs » et leur statut était clarifié d’une manière qui satisfasse les chefs propriétaires d’esclaves (qui dirigeaient le Protectorat), et dont les Français en étaient venus à dépendre (Saint-Martin 1966 : 155-157). Au même temps, l’euphémisme « serviteur » camouflait la reconnaissance française de l’esclavage [voir Klein et McDougall, supra].

La désannexion avait d’autres avantages pour les Français. La séparation des zones rurales de l’ancienne colonie du Sénégal désigna des nouvelles lignes entre des régions soumises à la loi française et les régions soumises aux coutumes africaines. Dans les années 1890 cette séparation permettait aux Français de tolérer l’esclavage et de rattacher plus encore l’autorité des aristocrates Wolof à l’administration coloniale. Mais elle fut rapidement considérée comme un moyen pour exclure de la loi française et de la démocratie les nouveaux territoires issus du Protectorat[4].

Bien que la désannexion fut une réponse spécifique à un problème spécifique, elle conduisit à des effets permanents parce que les Gouverneurs généraux successifs ressentaient le même besoin de protéger les zones rurales du Sénégal du régime « déstabilisant » de la loi française et de la politique de liberté dans les Quatre Communes[5]. La désannexion créa une division permanente entre les districts ruraux gouvernés par les chefs Africains, et les zones citadines des Quatre Communes. Cette distinction en conduisit à une autre entre les « sujets » des zones rurales et les « Citoyens » ou « Originaires » des Quatre Communes. Les villes coloniales avaient un statut intermédiaire, elles furent placées sous l’autorité d’un Commandant Français, mais le statut individuel dépendait des lieux de naissance.

La conquête du Bawol : une influence plus symbolique que réelle
La désannexion fournit le chemin pour la conquête du Bawol. Les Français appliquaient la politique du Protectorat au Bawol, mais ils étaient prêts à donner encore plus de pouvoir aux élites locales qu’au Kajoor. La conquête finale fut une mission diplomatique plus qu’une campagne militaire. Une colonne française déposa le monarque régnant et supervisa l’élection d’un nouveau chef acceptable pour les Français. Peu de changements dramatiques furent réalisés.

Les Français n’établirent même pas une résidence permanente au sein du nouveau Protectorat. Ils cherchèrent des collaborateurs pouvant leur donner des services réels, comme Demba War Sall en avait fait au Kajoor. En 1890, c’était une politique approuvée qui avait donné un maximum des résultats pour un coût minimal.

Demba War et ses alliés soutinrent activement l’attaque française contre le Bawol en 1890. Ils fournirent une aide militaire et des renseignements. Ils conseillèrent également les Français sur les choix des possibles successeurs au Bawol. Thieyacine Faal, le monarque régnant limita ses efforts diplomatiques à de lettres proclamant son amitié avec la France. Il se plaignait également du pouvoir donné aux esclaves au Kajoor[6].

Les Français avaient leurs propres raisons pour souhaiter un changement de gouvernement. Ils considéraient Faal, dont on disait qu’il était ivre la plupart du temps, comme un chef faible, qui permettait à ses ceddo de piller tout à loisir. D’un autre côté, les Français n’avaient pas de préférence claire pour un successeur et ils suivirent les conseils de Demba War Sall pour nommer Tanor Ngogne[7].

Le Bawol ne résista que peu dans l’année 1890. Avant l’entrée des Français, les principaux jaambuur (notables) écrivirent une lettre à Demba War lui recommandant l’abolition de la monarchie à l’instar du Kajoor. Cette lettre, qui fut inspirée par Meissa Anta Ngone, l’un des chefs de la province, n’exprimait aucune hostilité à Thieyacine Fall lui-même, mais dénonçait les jeunes princes garmi et leurs ceddo. Lorsque le Commandant Villiers conduisit une colonne au Bawol en 1890, les Français supervisèrent l’élection de Tanor Ngone, un prince garmi qui avait combattu une fois aux côtés de Màbba avec Lat Joor et Demba War Sall.

Les principaux jaambuur du Bawol, qui étaient restés loyaux à la dynastie Fall, s’opposaient à l’élection de Tanor. Le Grand jaraaf, qui était le délégué traditionnel des jaambuur au sein de l’État, conduisit l’opposition[8]. Bien que Tanor restât au pouvoir jusqu’à sa mort en 1894, une opposition persistante des quelques jaambuur troubla son gouvernement. L’influence française au Bawol était plus symbolique que réelle.

Une fois que les Français eurent aidé Tanor à éliminer ses rivaux, ce dernier ignora les ordres des Français lorsqu’il le souhaitait, feignant d’être malade quant il était sommé de voir les administrateurs Français, et se concentra en l’élimination de ses ennemis locaux.

Armand Armary
, un habitant secrétaire qui était le seul représentant des intérêts français au cours de cette période, se plaignit en 1892, qu’il était mal logé et mal nourri et traité comme le dernier des esclaves de Tanor. On lui refusait la permission de voir Tanor, qui ignorait les lettres françaises[9].

A suivre…/

James F. Searing University of Illinois at Chicago . Traduit de l’Anglais par Christophe de Beauvais. Publié dans Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel. Sous la direction de Mariella Villasante Cervello, Paris, L’Harmattan, 2007, vol. I : 391-438.

Articles précedents : http://adrar-info.net/?p=24591; http://adrar-info.net/?p=24608; http://adrar-info.net/?p=24628;http://adrar-info.net/?p=24647; http://adrar-info.net/?p=24656: http://adrar-info.net/?p=24693; http://adrar-info.net/?p=24719; http://adrar-info.net/?p=24726; http://adrar-info.net/?p=24735


[1] Barry, Le royaume du Waalo, Paris, 1972. Sur la nouvelle politique voir Yves Saint-Martin, Une source de l’histoire coloniale du Sénégal. Les rapports de situation politique (1874-1891), Dakar 1966 : 146-150.

[2] L’analyse de Clément-Thomas sur les causes de la migration des Fulbe a été remise en question. Voir la discussion in Hanson, Migration, Jihad and Muslim Authority, Bloomington, Indiana, 1996.

[3] [Traduit de l’Anglais, ndt].

[4] Un processus similaire eut lieu au Nigeria. Le gouvernement indirect fut d’abord instauré comme une solution ad hoc au problème de l’administration des musulmans du Nord, anciens alliés des émirs Fulbe. Au cours de la période « d’amalgame » en 1914, ce système politique était perçu comme une manière de maintenir les groupes « subversifs » de Lagos en dehors des Districts ruraux du Sud. Voir I.M. Okonjo, British Administration in Nigeria, 1900-1950 : A Nigerian view, New York, 1974 : 53-82 ; et J.A. Atanda, The New Oyo Empire : Indirect Rule and Change in Western Nigeria 1894-1934, New York, 1973.

[5] [Les « Quatre Communes » du Sénégal sont Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque. Elles furent créées entre 1872 et 1887 (Dakar). Les habitants de ces Communes furent nommés les « Originaires », ils avaient les mêmes droits des citoyens Français des Communes de la métropole. Cette coupure coloniale fut établie dans le dessein de distinguer les groupes « assimilés », citadins acquis à la France, des autres « Indigènes » du Sénégal, dont les musulmans, les animistes, et les populations rurales en général. Les « Sénégalais » furent donc distingués, dès la fin du XIXe siècle, en « Originaires », bénéficiant des privilèges mis à profit dans le cadre politique dans la période post-coloniale, et en « Indigènes », sujets proprement colonisés de la France habitant « l’intérieur du pays ». (Mamadou Diouf, Histoire du Sénégal, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001. nde].

[6] Ac, 2D 9-4, Cercle de Louga, Correspondance, 1889 ; et ac 2D 7-1, Baol, Correspondance 1888-1890.

[7] Ac, 2D 9-4, Louga, Correspondance 1889 ; et ac 2D 7-1, Correspondance 1888-1890. Demba War Sall connaissait Tanor Ngogne depuis au moins les années 1860, lorsqu’ils firent campagne avec Màbba. En 1892, Tanor épousa une femme de la parentèle de Demba War Sall, ce qui confirme l’alliance entre les deux hommes (ac, 2D 7-1 Baol, Correspondance 1892, Tanor Ngogne à Gouverneur, le 27 mai 1892).

[8] Ac, 2D 9-4, Louga, Correspondance 1889, Lettre de Diambours [jaambuur] à Demba War, le 1er janvier 1889 ; et ac, 2D 7-1, Baol Correspondance, 1890, Commandant Villiers à Gouverneur, le 16 mars, 1890.

[9] ac, 2D 7-1, Baol Correspondance, 1892.


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