03-07-2015 23:15 - Une autre présentation de l’histoire de la fondation mauritanienne : Mohamed Ould Cheikh, le plus proche équipier de Moktar Ould Daddah de 1957 à 1966 - journal et entretiens en Décembre 1967: La Nahda, le parti unique, la subversion

Une autre présentation de l’histoire de la fondation mauritanienne : Mohamed Ould Cheikh, le plus proche équipier de Moktar Ould Daddah de 1957 à 1966 - journal et entretiens en Décembre 1967: La Nahda, le parti unique, la subversion

Le Calame - C’est aux propos qui suivent que nous reconnaissons en Mohamed Ould Cheikh l’homme d’Etat : il théorise, comme aucun autre des acteurs de l’époque fondatrice, la nécessité et le rôle du Parti unique de l’Etat après avoir analysé ce qui empêchait la Mauritanie originellement d’être une nation, au départ du colonisateur. Il constate le possible, le réel et dignostique ce qui est manqué.

Mais nous recevons aussi de lui une mise en évidence nouvelle de la gravité extrême des enjeux de l’époque et de l’emprise que pouvait avoir la revendication marocaine sur beaucoup : présidant les diverses formations juridictionnelles d’exception pour juger les auteurs d’attentats mortels, Mohamed Ould Cheikh fit preuve d’une rigueur et d’une autorité morale rare.

Et c’est avec cette autorité, devenue prestigieuse, qu’il montre ce qui fit la décision et la naissance nationales : la vision plus volontaire encore que prophétique de Moktar Ould Daddah. C’est ce dernier qui a résolument anticipé cette nation à venir et l’a donc accouchée. Les deux personnages fondateurs sont là.

Mohamed Ould Cheikh parle et abruptement, ces conversations : la réalité de la subversion marocaine, comme sans doute en tête-à-tête avec le président : la nécessité des exécutions capitales, un parti qui soit de cadres et non de masses. Des identifications sans détour : le dévoiement de la religion. Des choix nets. Fermeté de l’action autant que de la pensée.

Titre et fonctions le décrivant parfaitement : permanent politique, secrétaire général de la Défense. Désintéressement personnel total dans la constitution des forces armées nationales mauritaniennes. C’est ce dernier point qui est décisif pour sa mémoire.

Les conventions précédentes demeurent : pas de reconstitution d’un exposé mais restitution des notes prises en forme abrégée, il y a près de cinquante ans – leurs initiales pour les principaux acteurs dont Moktar Ould Daddah, Mohamed Ould Cheikh et Ahmed Ould Mohamed Salah – les sous-titres sont les miens. J’ai précisé les événements par de simples rappels de la chronologie.

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

Entretiens sous la tente, à la badia.

I - samedi 9 Décembre 1967 (suite)

La Nahda

Date de la fondation est connue. Le lieu, la raison du lieu aussi [i]. Je n’avais que des relations personnelles. Toujours gardé un lien avec Ahmed Baba sur un plan personnel. Pas d’accord avec lui sur la Nahda. Ahmed Baba, personnalité sans commune mesure avec celle des autres. Mais beaucoup d’autres gens, bien sûr, ont eu de l’importance ou qui ont une personnalité, mais politisée et cherchant à éviter les susceptibilités.

Le fait de tenir à ce qu’il y ait des Noirs mauritaniens, et cette recherche, montrent que les dirigeants ne voyant pas le problème marocain, étaient de bonne foi. Mais ils ont fait une utilisation très grande de la religion, ils se sont aperçus de ce que notre milieu tient la religion en grande importance, d’où proches du problème marocain.

Si vous dites à des musulmans, le sultan des mussulmans a dit – et que ces musulmans sont marginaux et primaires, l’ordre est obéi par la majorité d’entre eux. Pour eux, il paraît le sultan des musulmans, et non le sultan du Maroc. C’est comme cela que le problème a été posé. Ce qui importe, c’est l’état de la religion chez nous, et non le problème politique marocain.

Les événements de l’été 1960 et de Septembre 1960. J’étais commandant de cercle de l’Assaba (instituteur d’origine, administration générale comme stagiaire, examen, puis commandant de cercle, j’ai été le second après Ahmed Ould Ba [ii]). Je n’ai eu de rapports aveccela que quand la subversion a éclaté. Cela a commencé par l’assassinat d’Abdallahi Ould Obeïd. La justesse de son élection [iii] avait exaspéré la Nahda. Aussi, a-t-on suspecté la Nahda.

Ce n’était pas vrai. La Nahda était divisée à Nouakchott et n’excluait pas de s’entendre avec le gouvernement, elle s’apprêtait même à ces pourparlers, et voulait les faire aboutir. Ils sont arrivés par avion. La section Nahda de Nouakchott s’est scindée, une partie voulait faire de la réception un symbole marocain.

Sid Ahmed Ould Cheikh, de la région de Nouakchott par son frère, dirigeait cette branche scissionniste, a provoqué cette agitation. Cela a encore ajouté à la réception. Les membres de la direction se sont trouvés arrêtés à cette occasion du Congrès.

Il faudrait voir – comme dans tout problème – notre fond sociologique, nos tribus, notre religion. La partie de la Nahda qui a le plus donné dans le Maroc, était celle dont les chefs de tribus étaient au Maroc. Quand la direction a été emprisonnée, ce sont surtout les chefs de tribus qui ont dirigé, ce sont les membres des tribus dont les notables étaient au Maroc, qui ont le plus agi dans le Maroc, plutôt comme bras, les cerveaux étant les membres du bureau politique de la Nahda.

A l’époque, j’ai eu un mot des prisonniers, qui répétaient leur position, prêts à s’entendre. J’en ai discuté aussi avec MoD, qui ne voyait pas d’obstacle. MoD a chargé le commandant de cercle de Tdijikja, Ahmed Ould Mohamed Salah, d’une mission d’observation auprès d’eux. AMS a fait la navette entre eux jusqu’à leur retour à Nouakchott. J’ai continué à faire l’entremise à ce moment-là, quand ils ont été de retour à Nouakchott entre la Nahda et MoD.

Le P.R.M. [iv] était très hostile, mais la subversion a forcé à faire l’union sacrée. L’appel à l’unité n’a été lancé que pour officialiser ces contacts. Au début des contacts, de la mensuration de la chance d’une rencontre d’abord, puis d’une entente ensuite, on a été très prudent. Pas souvenance de cette chose [v].

AMS a fait les contacts directs entre Nouakchott et Tichitt. Quand ils se sont retrouvés à Nouakchott, MoC a fait la liaison, puis difficulté à vaincre la résistance du P.R.M.

Congrès de l’Unité. Ce mot couvrait plusieurs choses. L’émiettement était naturel, s’il n’y avait pas de volonté de luttre contre cet émiettement naturel. Pas de chance d’affronter la subversion marocaine commençant à prendre racine, chez certaines collectivités. Nécessité de faire l’unité pour lui faire face.

Le problème du Parti unique, c’est un peu le substitut de la Nahda pour nous, la discussion devenait aussi bien en son sein : accepter la démocratie, dès que le groupe majoritaire leur accordera la souveraineté, et tempérament apporté par la présence de la minorité, et la majorité d’accord parce que le tempérament existe. Le pouvoir avait un rôle particulier : remplacer un colonisateur parti, au nom d’une nation pas encore là.

Ce parti – d’abord parti unique, cela signifiait une espèce de tuteur d’un pouvoir qui aurait la responsabilité de l’Etat (le pouvoir gouvernemental), ce pouvoir hérite de quelqu’un de parti – au nom de quelqu’un qui n’était pas là. D’où le Parti unique, substitu de la nation, en admettant qu’elle existe : la nation « conscientielle », et non pas nation objective. Ce sont les raisons profondes d’une réalisation suivie du Parti unique. L’entente est pour faire ce parti unique, on n’est pas à envisager une coalition de partis au gouvernement.

Ces discussions étaient le monopole d’un certain nombre d’individus. Les autres, on leur expliquait qu’il fallait s’entendre, ou on leur donnait les raisons qui étaient à leur portée. Il y avait les chefs guerriers de l’Adrar [vi], le parti virtuel de la Vallée du Fleuve, l’U.N.M. [vii], les jeunes de la Nahda, noyautés par le Maroc : voilà le spectre. Le P.R.M., le parti des anciens intermédiaires coloniaux et de la chefferie traditionnelle. Période cruciale que celle de 1961. Cela a pris tout mon temps.

Voilà les buts théoriques de l’unité : cette unité ainsi faite au moyen d’un Parti. Cela devenait revenir au niveau constitutionnel. On avait fait des institutions qui n’en tenaient pas compte. Une fois ces prémices admises, un travail pluis prosaïque de réalisation, à travers de vieilles barbes, de jeunes vieux, les jeunes.

C’est long, c’est difficile. Les buts se heurtent aux incompréhensions et à la situation de fait. L’Assemblée Nationale rassemblait la chefferie traditionnelle et les éléments de l’époque coloniale : difficile de faire avaler un nouveau système à la forme étrangère si différente du régime parlementaire, d’où difficulté au sein du bureau politique et ce régime fondé sur cette assemblée. Cela ne s’est pas fait sans difficulté.

Les hommes de cette assemblée se prêtaient aux marchandages. On les a amenés à ce changement. Mais complication à chaque fois et choix bientôt ou de revenir à ce régime d’assemblée, ou de se débarrasser de cette assemblée.

Fin 1963, querelle au sein du B.P.N. [viii]. Prétexte, l’autonomie financière de l’Assemblée. Tout le problème de l’Assemblée était là-dessus.

J’ai avalé quelques années, car rien d‘important en 1962, sinon le départ de Bouyagui, évincé. Un cas de personne, pas un cas politique, celui d’une personnalité qui tendait à s’imposer. Boyagui n’a pas que des défauts. Il a même quelques qualités.

Crise de l’ancien régime en face du nouveau. Il résistait, on est allé avec un certain… Le B.P.N. avait réuni une commission pour désigner quelqu’un comme président de l’Assemblée. Ce fut Cheikh Saad Bou Kane. De toute façon, c’était provisoire. Autre candidat qui était puissant, parce que certaine façon… Kane Yahya. C’est lui surtout qui est allé réveiller Souleymane, qui a élu Souleymane. Pour les députés, c’était leur cheval de bataille. Le B.P.N. était divisé entre députés qui étaient favorrables à l’ancien régime, et les anciens de la Table ronde [ix], qui étaient partisans du nouveau régime (MoC).

Le B.P.N. a remis la crise à résoudre au Secrétaire général, le Secrétaire général discutant avec d’autres membres du B.P.N.. Convocation de Kaédi, conférence de cadres. On y est allé avec un certain nombre d’idées :

– suppression de l’ancien régime d’assemblée,

– gratuité du mandat parlementaire,

– et démission en blanc
rendre impossible la féodalité politique à partir de l’Assemblée

Le B.P.N. a chargé le Secrétaire général de faire rapport au B.P.N.. C’est sur ce rapport, adopté par le B.P.N., qu’a été de convoquer une conférence des cadres. On s’est borné à la conférence des cadres. On avait cette solution de se débarrasser de l’Assemblée. Il a fallu livrer bataille aux députés et à leurs « supporters » pour la transformation de la conférence en Congrès. Suppression de l’ancien régime, obligé de livrer bataille.

Pour la deuxième manche de l’affaire – je rapporte ce que m’a dit le Secrétaire général en 2ème partie – on a reculé. Nécessité du prochain congrès pour faire ce qui était reculé : l’organisation du Parti. Il avait été entendu avec le président de ramener le Parti simplement aux comités urbains. MoC voulait Nouakchott, Port-Etienne et Zouerate, éventuellement les autres communes : Atar, Rosso, Boghé, Kaédi et Aïoun.
Accord à ce sujet : MoC et MoD. Si l’on voulait faire jouer au Parti le rôle essentiel de jouer le substitut de la nation. Dans la mesure où on voulait lui faire définir une politique nationale, il y avait des conflits, il était nécessaire d’avoir des combattants. Dans la mesure où il fallait faire jouer à ce Parti ce rôle, il fallait lui donner des troupes solides.

On ne pouvait pas – autrement que verbalement – avoir des adhésions sur l’ensemble du territoire. Les nomades et les vieux sont introuvables. L’encadrement politique était si peu nombreux et peu qualifié, qu’il fallait se limiter. On devait donc se limiter aux centres relativement organisables, et où, en concentrant les moyens, on pourrait obtenir des résultats relativement rapides.

Voilà ce qui n’a pu être réalisé à Kaédi, mais que MoC et MoD sont résolus à faire. Ahmed Baba n’est plus membre du B.P.N. MoC rentre de Dakar fatigué. Le président a été conduit à accepter cette concession, en attendait qu’un prochain congrès achève de réaliser le projet.

Par la suite, on s’est aperçu qu’il fallait continuer cette formule, certainement théorique, purement politique, mais on n’y a plus beaucoup travaillé. Je n’y croyais plus. Dans mon esprit, un parti étendu à toute la Mauritanie n’a plus grande signification. Je me suis trouvé en désaccord sur ce problème avec le B.P.N. mais pas avec le président, parce qu’il me disait qu’au prochain congrès…

A ce moment, s’est produit…

Première évocation du problème culturel

Fin 1965, début 1966, prise de position d’un certain nombre de Noirs. Ce problème s’est posé de nouveau. C’était peu courant, jamais avant l’indépendance. Je fais remonter ce problème à toujours… Tant que la Mauritanie était traditionnelle, le problème ne s’est posé qu’aux lieux de contacts : terrains de parcours et de cultures, et il ne s’est posé qu’en termes traditionnels – sur le plan local.

A Kaédi, il y a eu des échauffourées, même sous la colonisation. Sur le plan physique, bande de terre, habitée par les Noirs, mais problème de l’Ocan Atlantique à l’Océan Indien. Sur tout ce territoire, chacun cherche à le résoudre à sa façon. Il y a une minorité importante, sur le territoire du pays. La Mauritanie fait partie de l’Afrique de l’Ouest, du fait de la rupture avec le Nord, dû au désert.

Au prochain congrès, ce problème des villes devait être réglé. A la suite du problème racial, je voyais les choses d’une certaine façon. Le congrès d’Aïoun a été préparé dans l’optique du problème racial, et non dans l’optique du Parti.

Dans l’optique du Parti, il eût fallu se débarrasser de l’ancienne base, et refaire du nouveau. On a fait à Kaédi la première partie : on a supprimé le passé, sans pour autant organiser l’avenir.

La subversion

Je ne vous parlerai pas de la subversion marocaine et de ses bases.

Le fait est qu’il y a une revendication. Les moyens de réaliser cette revendication sont des moyens militaires. Cf . les dossiers secrets de la décolonisation de Chaffard, ce que m’en disaient le colonel Esquilat, le commandant Aubinière (celui-ci décédé). Le Maroc, à partir de l’échec de sa tentative militaire a tenté la subversion. Non pas à partir du Nord, trop loin et difficile, mais à partir de Dakar et de Bamako, en recrutant des Mauritaniens dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Le Hodh et l’Assaba, l’arrière pays de Kayes et le ravitaillement par le chemin de fer de Kayes : les communications encore très ouvertes à l’époque. Il y a plusieurs agents recruteurs. Les notables des tribus au Maroc ont recruté en se servant de la Nahda et en mobilisant les liens tribuax, liens politiques et tribaux. Utilisation de la religion, par le moyen du serment dans le Coran.

Des commandos, des gens étaient envoyés pour se faire recruter dans l’armée. Une faute initiale a été commise en ce sens. Dans le contingent de 1959, recruté par l’armée française, bon nombre de subversifs. Il n’y avait pas à l’époque de bons services de renseignements. D’où l’attentat à Atar en Mars 1961 [x], fait par des Mauritaniens de l’armée française : excellente couverture... les incidents n’ont été que des attentats au revolver, les attentats individuels à Atar.

Des gens envoyés, pour à partir de l’intérieur des forces de police et de sécurité, s’en prendre au commandement. Commandos civils pour liquider les militaires qui n’avaient pas accompli leur tâche. Et accessoirement, remplir eux-mêmes certaines missions.

Les moyens matériels pour tout ceci, financés par des commertçants, recrutés également et disposant de l’argent – marocain. Assistance individuelle d’une femme. Les réseaux étaient parallèles :

– réseaux d’action qui s’ignoraient pratiquement

– réseau d’intendance et de fournitures diverses, les milieux commerçants et transporteurs

– réseaux de renseignement, plutôt 5ème colonne

– réseau de commandement lié par divers émissaires dans chaque localité.

Chaque réseau dépendait d’une personnalité au Maroc, les plus agissants étaient ceux de Horma, les autres : moins agissant et ne voulant que de la subversion simplement pour rester au Maroc et y être installés.

Ces personnes voyageaient beaucoup, surtout au Mali. Le groupe de Casablanca [xi], bien qu’éphémère, a beaucoup aidé. La ligne directe de Royal Air Maroc : Rabat-Bamako a beaucoup servi. Dakar, c’était à l’insu des autorités, mais le personnel sénégalais étant assez corrompu, c’était facile. Certaines personnes du gouvernement du Mali ont été mêlées : Madera Keita, avant la publication de la carte du « grand Maroc » qui a troublé les relations entre le Maroc et le Mali.

La thèse était que la Mauritanie n’était pas indépendante et qu’œuvrer par la subversion, c’était œuvrer pour l’indépendance, liquider le Français et ceux qui collaboraient avec lui. La défaite du Maroc surtout dûe à l’imprégnation des notables chez nous, et au fait que les responsables marocaines ignoraient ce qu’était la Mauritanie.

Par exemple, on donnait des missions qui avaient besoin d’anonymat, irréalisable dans un pays où tout le monde se connaît. --- Et impréparation du personnel autochtone : quinze jours de préparation seulement. Ils n’avaient ni technique ni idéologie, simplement sommaires.

On a l’impression que le Maroc n’a jamais voulu toucher aux intérêts français. Par exemple, le chemin de fer n’a jamais été coupé. L’origine même avait soigneusement évité cela. Le souverain marocain donnait l’impression d’avoir plus pris position en fonction de la politique intérieure. Ils ont perdu pas mal d’argent, vu leur impréparation en Mauritanie. Beaucoup de gens se sont enrichis de cela, ils nous l’ont directement : le prix des voyages par exemple.

Les réseaux d’action chez les civils, destinés à descendre les militaires, ne faisaient pas leur mission. L’acheminement de l’armement s’est fait en 1959-1960. Par des renseignements, on ne l’a su qu’après et l’on a détecté là où c’était enterrés : les moyens nécessitaient des secours supplémentaires, besoin de revolvers et de munitions.

L’attentat de Néma [xii] : des militaires ont fait le coup. On a commencé de vérifier les cartes des Mauritaniens. On a vu que parmi les gens passés à Néma, il y en avait qui étaient passés à Atar. Je suis parti la semaine précédant l’attentat, à Néma, pour précisément une recherche à faire à Néma, chez le commandant de cercle et chez le commandant d’armes.

Ce coup-là, ils l’ont réussi. Au moment d’opérer, ils devaient lancer des renseignements faux pour mettre les recherches ailleurs. Toute l’apparence de la vérité nous disant des infiltrations importantes à partir du Mali. Toute la semaine, j’ai pensé à cela. On aurait pu éviter le coup de Néma.

Finalement, à quelque chose malheur est bon, on a pu démanteler le réseau, trois fusillés. Deux jours après, la même semaine, à mon retour à Nouakchott, un attentat à Nouakchott [xiii]. Cela prenait l’allure de la terreur. J’ai personnellement reçu des lettres de menace d’autant plus importantes que l’attentat de Nouakchott avait été précédé d’une lettre anonyme d’avertissement précis. A ce moment-là, il a fallu sévir. Le coup de Néma a porté le coup final. Nous étions sur la piste, on était près de mettre la main sur les gens de la garnison militaire.

Des gens étaient pour la clémence. J’avais la nette conscience que si l’on ne tirait pas cette fois, ce n’était plus la peine de continuer. Si on n’avait pas sévi à ce coup-là, c’est ce qui ce serait produit. Beaucoup de Mauritaniens étaient hostiles, les Noirs étaient inquiets, les Maures ne savaient comment faire, les gens étaient flottants [xiv].

À suivre

Entretien du 9 Décembre 1967 (fin) : forces armées, concepts de l’Etat et du Parti, élections

Entretien du 10 (début) : le problème culturel, l’organisation du Parti, la politique extérieure

Notes

[i] - 25-26 Août 1958 : à Kaédi, congrès constitutif de la Nahda qui a pour objet" … de mener le pays dans la voie rapide de la décolonisation ; motion rejetant "le principe de charte octroyée" et se prononçant "pour l'auto-détermination" ; "met en garde la France contre l'habitude de se choisir des interlocuteurs … et dénie à ces créatures préfabriquées le droit d'engager l'avenir de la Mauritanie"

constitution d'un bureau exécutif : Bouyagui Ould Abidine, président - Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, secrétaire général - Yahya Ould Menkouss, secrétaire à la presse - Bamba Ould Yezid, organisation des femmes - Yahya oul Abdi, travail et jeunesse - Douahi Ould Mohamed Saleck, organisation du parti - Sidi Mohamed Ould Biya, trésorier général - Heiba Ould Hamody, trésorier adjoint

[ii] - celui-ci breveté de l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer, en 1957

[iii] - 14 Août 1960 : élections municipales : le PRM l'emporte aisément à Boghé, Rosso et Kaédi où il se présente sans adversaire, mais de justesse à Atar (par 30 voix sur 2634) où la Nahda le talonne

[iv] - le parti gouvernemental, fondé à Aleg en Mai 1958 par la fusion des partis alors existant : U.P.M., Entente et Bloc démocratique du Gorgol ; il a remporté tous les sièges à l’Assemblée nationale, aux élections de Mars 1959

[v] - provocation dénoncée par Ahmed Baba Ould Ahmed Liske : l’exploitation dans le journal gouvernemental, Mauritanie nouvelle, de sa lettre au président Moktar Ould Daddah

[vi] - 23, 24, 25 Février 1960 - à Atar, congrès constitutif de l'Union socialiste des musulmans mauritaniens USMM

- adoption d'une motion économique et sociale

- élection d'un bureau exécutif provisoire : Ahmed Ould Kerkoub, directeur politique - Salem Ould Boubout, secrétaire général - Sid Ahmed Ould Kerkoub, propagande et presse - El Housseine Ould M'Haymed, trésorier général

23 Mai 1960 : autorisation de l'U.S.M.M.

[vii] - parti de la contestation parlementaire et favorable à une adhésion de la Mauritanie à la Fédération du Mali (alors bipartite : Soudan et Sénégal) indépendante à partir d’Avril 1960

28 Avril 1959, éclatement du PRM à la suite des décisions d'investiture aux élections ; création de l'Union nationale mauritanienne avec pour bureau provisoire : Souleymane Ould Cheikh Sidya, président - Hadrami Ould Khattri, secrétaire général - Mohamed Ould Abass, secrétaire général adjoint - Hassane Ould Salah, secrétaire administratif - Abdallahi Ould Dimam, trésorier général - Mohamed Abdallahi Ould El Hassen, propagande - Ahmed Ould Ely el Kory, Yacoub Ould Boumediana, Ba Abdoul Aziz, délégué à la presse

[viii] - 1er -4 Octobre 1963 : crise au sein du Bureau politique national

- 3 abstentions, 6 pour, 11contre les modalités de suppression de l’autonomie financière de l’Assemblée nationale

- tandis que le secrétaire général du Parti déclare ne plus pouvoir cautionner le Bureau et se retire, la majorité parlementaire du BPN balance entre le choix d’un secrétaire général provisoire et un nouveau vote

- finalement le 4 Octobre 1963, le BPN

* constate qu’il lui est devenu impossible de travailler :

* confie au secrétaire général du parti Moktar Ould Daddah, la mission de "rechercher après un recensement complet de tous les maux dont souffre le parti aujourd’hui, les moyens susceptibles de juguler à jaMais les contradictions et d’assurer un redressement conforme aux principes de base, tels que définis par les deux congrès historiques du parti du peuple, de Décembre 1961 et de Mars 1963"

4 Octobre 1963 : circulaire du secrétaire général du Parti faisant le point aux sections du parti "de ce qui s’est passé au sein du BPN depuis son élection" et suspendant jusqu’à nouvel ordre les réunions de tous les Bureau x de sections

[ix] - 20-22 Mai 1961 : 1° réunion de la "table ronde" des partis et tendances politiques (il y en aura six jusqu’au congrès de l’Unité)

- "réalisation rapide de l'unité politique en Mauritanie"

- "unité d'action entre les formations en présence"


- bureau permanent du Comité d'union : Abdoul Aziz Ba, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et Dembele Tiecoura

[x] - 8 Mars 1961, attentats mortels contre des Français à Atar et à Nouakchott

9 Mars 1961, le groupe parlementaire du PRM entend le Premier Ministre sur les événements d'Atar et de Nouakchott et accepte que soient prises des mesures d'exception

10 Mars 1961, conférence sur les mesures de sécurité : le Premier Ministre, l'ambassadeur de France, le ministre et le directeur des Affaires intérieures y participent seuls

- l'envoyé extraordinaire de la République française (Pierre Anthonioz) signe une réquisition générale des troupes à Nouakchott et à Atar ;

- maintien d'un peloton de gendarmerie à Port-Etienne qui se trouve y être de passage ;

- distribution d'armes individuelles aux cadres européens de MIFERMA

[xi] - * la Guinée, le Maroc, le Mali, le Ghana, la République arabe unie et le G.P.R.A. – le groupe se crée lors d’une conférence à Casablanca, du 4 au 7 Janvier 1961 réunissant autour de Mohamed V, Sekou Touré, N'Krumah, Modibo Keita, Nasser et Ferhat Abbas : "charte de Casablanca", prévision d'une assemblée consultative africaine, de comités politique, économique et culturel, d'un commandement intégré, approbation de "toutes actions menées par la Maroc en Mauritanie pour recouvrer ses droits légitimes"

* le groupe de Monrovia se constitue cinq mois plus tard – conférence tenue dans la capitale libérienne du 8 au 12 Mai 1961 ajoutant au "groupe de Brazzaville", le Libéria, le Togo, la Nigeria, la Sierra-Leone et la Tunisie : appel au GPRA et à la France ; désarmement ; condamation apartheid et Portugal ; admission de la RIM aux Nations Unies (une lettre du président Tubman sera écrite au nom des participants et la Chine nationaliste sera menacée de rupture des relations diplomatiques si elle s'oppose à l'admission de la Mongolie, dont le refus justifie le refus parallèle d'admettre la RIM) ; charte d’égalité absolue entre les membres, non ingérence, respect des souveraineté et personnalité, condamnation de la subversion

[xii] - 29 Mars 1962 : à Nema, attentat contre un mess d'officiers de l'armée mauritanienne causant la mort de 3 Français et faisant 13 blessés

26 Mars-2 Avril 1962 : au Caire conférence des Chefs d'Etat du groupe de Casablanca (marché commun africain, banque de dévelopement, caisse africaine des paiements)

31 Mars 1962 : à Dakar, le ministre marocain de l'information est reçu par les présidents Dia et Senghor

1er Avril 1962 : réuni en séance extraordianire, le Conseil des ministres décide la convocation de l'Assemblée nationale et les mesures nécessaires au maintien de l'ordre

2 Avril 1962 : le Bureau politique national exprime unanimement son indignation et décide la mobilisation des sections du parti en comités de vigilance

3 Avril 1962 : l'Istiqlal écrit "si le déclenchement des opérations en Mauritanie rappelle celui de la révolution algérienne, cela veut dire que le dénouement sera le même"

6 Avril 1962 : * session extraordanaire de l'Assemblée nationale devant laquelle le Président de la République déclare : - "des innocents sont tombés, mais c'est la République islamique de Mauritanie libre et indépenante que l'on veut abattre" - "les masses mobilisées dans les rangs du pari du peuple affrontent les grandes tâches de la construction nationale" - "le Mali doit mettre un terme aux activités des provocateurs" - "l'union de tous les Mauritanienes demeure la meilleure sauvegarde de l'indépendance nationale" - "l'Assemblée nationale est appelée aujourd'hui une nouvelle fois à exercer les prérogatives essentielles qui lui sont conférées par la Constitution, en accordant au Gouvernement le droit de prendre les mesures qu'impose la situation"

* l'Assemblée adopte à l'unanimité le rétablissement pour six mois de la Cour criminelle spéciale et vote par 12 voix contre 7 les pouvoirs spéciaux, en vertu de l'article 36 de la Constitution

7 Avril 1962 : lois rétablissant la Cour criminelle spéciale et autorisant le Président de la République à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la sécurité de l'Etat et au maintien de l'ordre

7 Avril 1962 : Radio-Rabat revendique les attentats commis en Mauritanie

8 Avril 1962 : rassemblement populaire à Nouakchott pour protester contre l'attentat de Néma ; le secrétaire général du Parti déclare que "ces attentats sont téléguidés de l'extérieur c'est-à-dire du Maroc, l'année dernière par son ambassade à Dakar et depuis quelques mois à partir du Mali"

[xiii] - 16 Avril 1962 : avis de recherche de 43 membres de "Jeych el Kifah" de Horma Ould Babana
17 Avril 1962 : informant les Commandants de cercle sur l'attentat de Néma, le ministre de l'Intérieur estime entre 75 et 150 les membres actifs de l'organisation de Horma Ould Babana

19 Avril 1962 : à Nouakchott, un ouvrier français est assassiné

21 Avril 1962 : rassemblement populaire au Ksar de Nouakchott présidé par Ahmed Baba Ould Ahmed Miske

23-24 Avril 1962 devant le Conseil des ministres, le Chef de l'Etat souligne "le rôle qu'a joué la population dans la découverte de l'organsiation subvesive et le concours qu'elle a apporté pour l'identification des coupables"

[xiv] - 24-28 Avril 1962 : procès en Cour criminelle spéciale des responsables de l'attentat de Néma : cinq condamnations à mort, dont deux par contumance (l'un des contumax étant Horma Ould Babana)

25 Avril 1962, le poste de Kankossa est attaqué par un commando venu du Mali

25 Avril 1962, assignation à résidence à Nouakchott de 12 personnes

26 Avril 1962, le ministre de l'Intérieur autorise les commandants de cercle à recruter 50 partisans chacun

28 Avril 1962, le poste de Boustaïla est attaqué par un commando venu du Mali

2 Mai 1962, exécution des trois condamnés à la suite de l'attentat de Néma

2 Mai 1962, le Bureau politique national approuve les mesures prises par le Gouvernement contre la subversion



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