15-11-2018 13:12 - Concession de trente ans pour OLAM au PANPA : Le scandale

Le Calame - La concession des terminaux à conteneurs, au profit de divers opérateurs privés, dans les ports africains, anime régulièrement les débats sur le continent.
Pour cause, beaucoup de contrats signés en marge des règles régissant les marchés publics, et réalisés « sous la robe », dans une totale opacité. Le cas récent du port de Nouakchott risque fort de grossir le chapelet de ces exemples et devrait figurer en bonne place dans la rubrique « controverse ».
Car beaucoup des zones d’ombre demeurent : absence d’appel d’offres, états de services du partenaire attributaire, inconnu au bataillon des entreprises dotées d’une solide expérience portuaire. Pis encore, même les chiffres de recettes prévues par le gouvernement suscitent la méfiance de l’opinion.
C’est un Comité Interministériel pour le Développement des Partenariats Publics–Privés (PPP) en Mauritanie, présenté comme « un organe de décision, de validation et d’orientation du cadre institutionnel de pilotage » de tous les contrats relevant de ce nouveau concept, qui a attribué un terminal à conteneurs à l’entreprise « Arise-Mauritanie SA », au Port Autonome de Nouakchott, dit Port de l’Amitié (PANPA). Une décision prise au terme d’une réunion le 05 Octobre 2018.
Ledit comité interministériel est composé du Premier ministre et de sept de ses collègues : justice, économie et finances, équipement et transports, pêche et économie maritime, agriculture, hydraulique et assainissement. La réunion citée en référence avait eu lieu sous la conduite de Yahya ould Hademine, alors Premier ministre. Etaient également présents tous les responsables des départements ministériels cités, la directrice de cabinet du Premier ministre et le président du comité technique d’appui au développement du PPP.
Le procès-verbal, établi à l’issue de la rencontre, édicte qu’il est « attribué, à la société Arise-Mauritanie SA, une concession, portant sur le financement, la construction et l’exploitation d’un terminal à conteneurs, et d’une jetée portuaire au Port Autonome de Nouakchott, sur une durée de trente ans, à compter de la date de mise en exploitation des infrastructures de la société ».
L’hinterland malien en point de mire
A travers la nouvelle concession, le gouvernement « souhaite améliorer, développer le port de Nouakchott et capter une partie des volumes des marchandises destinées au Mali (fuel, bitume, conteneurs et autres marchandises) qui transitent par d’autres ports régionaux, et entend confier, au secteur privé, la réalisation des investissements requis et la gestion du port ».
A signaler que les marchandises à destination du Mali transitent par plusieurs ports ouest-africains. En bonne position dans cette catégorie, on retrouve Dakar et Abidjan, qui disposent des installations les mieux adaptés, par rapport aux autres concurrents régionaux. Dans cette compétition, également Conakry, Lomé, Cotonou, alors que la Mauritanie, frontalière du Mali sur deux milliers de kilomètres, dispose d’une position géographique susceptible d’offrir un certain avantage comparatif.
Contrat à des conditions « avantageuses »
Sur sa page « Facebook » le ministre de l’Economie et des finances, Moctar ould Diay, soutient que la nouvelle concession portuaire prévoit des conditions « avantageuses » pour la Mauritanie. Il en expose les éléments de fond, expliquant que la société concessionnaire « va consentir un investissement initial de 390 millions de dollars US. Elle paiera, au port, 50 dollars pour chaque conteneur de 20 pieds et 75 dollars pour un conteneur de 40 pieds. 2 dollars seront versés pour tout mètre cube d’hydrocarbure débarqué, soit 550 millions de dollars pendant la durée de la convention (soit 2 milliards d’ouguiyas anciennes ouguiyas par an). Par ailleurs, 750 emplois temporaires seront établis, pendant la période des travaux, et 500 emplois permanents, au-delà de la réalisation des infrastructures nécessaires à la matérialisation du contrat ».
Face au tableau idyllique dressé par le ministre, il faut juste rappeler la célèbre citation anglaise : il
existe «trois sortes de mensonges : les petits, les gros et les statistiques ». De fait, si le contrat est aussi juteux, pourquoi n’a-t-il pas fait l’objet d’un appel d’offres internationales ?
Aucun appel d’offres
Dans les usages des marchés publics, « le gré à gré est une procédure exceptionnelle », seulement justifiée par l’urgence. En cédant un terminal à conteneurs du port de Nouakchott à « Arise-Mauritanie » qui est, en fait, une filiale d’OLAM, une entreprise de Singapour spécialisée dans le négoce et le courtage des denrées alimentaires, avec un chiffre d’affaires estimé à 11 milliards de dollars, le gouvernement opère un choix qui induit une foule d’interrogations et donc, forcément, des contestations véhémentes.
Il faut d’ailleurs signaler que les négociations initiales ayant abouti au contrat du 5 Octobre impliquaient l’Etat et une société appelée « Panthera Mauritanie SA » – entité totalement inconnue – qui a disparu des tablettes au moment de la finalisation de l’accord. Et ce qu’il faut retenir, c’est qu’à l’évocation du nom de la société « OLAM », on pense, automatiquement, à l’huile de palme et à la déforestation. Autant dire que l’expérience de la société mère d’Arise-Mauritanie SA, dans le domaine « activités de concession portuaire », paraît fort limitée, pour ne pas dire nulle. Le seul épisode connu, récent, très controversé, agite actuellement le débat politique et économique au Gabon. La multinationale de Singapour étend ses tentacules partout, jusqu’à se rendre incontournable en tout, dans des domaines totalement étrangers à son objet originel.
Se référant à la loi instituant les contrats de PPP en Mauritanie, le ministre de l’Economie et des finances soutient que l’attribution à « Arise-Mauritanie » fut le résultat d’une offre spontanée, rendant inutile le lancement d’appels d’offres. Mais l’acceptation d’une offre, même spontanée, sans concurrence, reste bel et bien une entorse aux règles de bonne gouvernance, dans toutes les législations du Monde.
Au finish, on est encore, dans le cas de la Mauritanie, en face « d’un contrat aux contours mal définis, laissant une beaucoup trop large marge de manœuvres à l’entreprise contractante. Un lien conclu dans la précipitation, en violation des dispositions de la nouvelle loi instituant les PPP et son décret d’application », déplore un observateur.
Ben Abdallah
Les conditionnalités d’un PPP
La loi 2017 du 06 février 2017, relative aux contrats de Partenariat Public/Privé (PPP), en son article 2019 prévoit que «le recours à une procédure négociée, sans publicité, ni mise en concurrence, qui n’est possible que dans les cas limités suivants :
Lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits pour des considérations techniques ou juridiques, que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs, détenus par un seul opérateur.
Dans les circonstances exceptionnelles en réponse à des catastrophes naturelles.
Pour des contrats conclus entre une autorité contractante et un contractant sur lequel elle exerce un contrôle comparable à celui sur ses propres services qui réalisent l’essentiel de ses activités pour lui, à condition que, même si ce contractant n’est pas une autorité, il applique pour répondre à ses besoins, les dispositions prévues par la présente loi.
Pour des raisons de défense nationale ou de sécurité publique.
Lorsqu’une autorité entend conclure un contrat de PPP par le biais d’une procédure négociée, elle doit réaliser une évaluation préalable et de la soutenabilité budgétaire, qui conclut en la nécessité de recourir à une procédure négociée ».
L’article 21 de la même loi expose les conditions de prise en compte de l’offre spontanée: « une autorité contractante ne peut prendre en compte une offre spontanée que sous les conditions cumulatives suivantes :
Le projet n’est pas en cours d’études par une personne publique et aucune procédure de mise en concurrence n’est entamée.
Les conditions de recours prévues à l’article 04 de la présente loi sont réunies.
Une décision du Conseil des Ministres autorise l’intégration du projet dans le portefeuille de projets d’investissements publics ».
Par ailleurs, pour le traitement des offres spontanées, la loi de février 2017 ajoute que « l’autorité contractante réalise le projet autorisé sous les conditions énumérées ci-dessus, sur la base d’une évaluation préalable de la soutenabilité budgétaire favorable à la réalisation du projet en contrat de PPP :
Elle lance un appel d’offres ou un dialogue compétitif auquel l’opérateur peut soumissionner.
S’il n’est pas retenu, l’autorité pourra lui verser une indemnité spéciale pour avoir contribué à la faisabilité d’un projet.
Soit l’autorité contractante a recours à la procédure négociée si elle estime que l’offre spontanée revêt un caractère innovant et qu’elle est sur le plan financier compétitive, ou qu’elle est justifiée au titre d’un droit exclusif du soumissionnaire ».