12-03-2020 15:10 - Petits charretiers de Kankossa : « En attendant le bonheur » d’une salle de classe

Petits charretiers de Kankossa : « En attendant le bonheur » d’une salle de classe

Le Reflet - A Kankossa, région de l’Assaba, dans l’Est de la Mauritanie, des enfants en âge d’aller à l’école, travaillent pour soutenir leurs familles économiquement faibles. Nous avons suivi deux de ces enfants qui, à longueur de journées, transportent, sur charrette, des marchandises au marché de cette commune rurale.

Cheikh a 14 ans. Il travaille comme charretier au marché de kankossa. Mes parents, dit l’adolescent, « son pauvres et n’ont personnes pour les aider financièrement.» Cette pauvreté des parents est, en effet, l’une des principales causes du travail des enfants à Kankossa. Cheikh a pour activité principale le transport de marchandise sur sa charrette au marché.

« J’ai mes papiers d’état civil et j’aimerais étudier, mais mon père n’a que moi comme fils. » Ce garçon, comme beaucoup d’adolescents, prends en effet sur ses frêles épaules une responsabilité qui n’est pas de son âge.

« Je monte tôt le matin à 8h et je descends à 17h.» Cinq heures par jour à charger des sacs de riz et autres marchandises sur sa charrette pendant que d’autres vont à l’école. C’est le prix à payer pour que ses parents ne soient réduits à tendre la Main.

Cheikh est contraint de « jouer à l’adulte »

«Je fais ce travail malgré moi, car ce n’est pas un travail pour enfant. Nous transportons des objets très lourds, des sacs de 50 kilogrammes, des bidons. Nous sommes obligés de nous comporter comme des vrais hommes pour survivre » dit Cheikh qui gagne entre 100 et 200 ouguiyas mru par jour. « J’aimerais avoir de l’aide pour continuer mes étudies et profiter de la vie comme tous les autres enfants » dit le petit. Mais, poursuit-il, « ma famille est pauvre et n’a pas de robinet à la maison. Nous n’avons pas les moyens d’acheter de l’eau tous les jours.

C‘est pourquoi, nous sommes obligés d‘aller en chercher loin de chez nous en charrette avec des bidons et consommer l’eau des puits non potables.»

Quand la charrette ne marche pas bien, Cheikh s’engage pour un travail plus pénible. « Quand il n’y a pas beaucoup de clients pour la charrette, je suis obligés de me porter candidat parfois pour charger et décharger les camions et beaucoup d’autres choses. » Les revenus du petit adolescent sont largement insuffisants.

« Malgré tous ces travaux difficiles, je ne peux même pas payer mes médicaments quand je tombe malade, j’aimerais avoir la chance d’étudier, de manger à ma fin et de profiter de la vie comme tous les autres enfants.» En attendant le bonheur d’une salle de classe, Cheikh est contraint de « jouer à l’adulte » pour soutenir sa famille.

Sans moyens et sans papiers

Djibril Khassim Diallo, lui, a 13 ans. Il est aussi charretier. Son père, suite à un accident de voiture, n’est plus apte à travailler. Les revenus de sa mère, tirés de la lessive, ne suffisent pas à nourrir la famille. Alors, Djibril, comme Cheikh, est obligé d’être adulte avant l’âge. Il monte tous les jours de 8h à 18h. Il gagne entre 90 et 150 ouguiyas Mru.

Ce n’est pas la pauvreté seulement qui empêche Djibril d’aller à l’école. « Je n’ai pas des papiers d’état civil car ma mère est une étrangère. Je veux étudier, mais mes parents sont extrêmement pauvres et cette charrette est la principale source des revenus qui nous permettent de vivre. ».

L’adolescent travaille sous le soleil et transporte sur sa charrette des sacs, des bidons, des ordures… avec des clients qui « refusent parfois de payer. »

Khassim Diallo est le père de Djibril. Il est conscient du sort peu enviable de son enfant. Il veut que son fils aille à l’école. Désespéré, Khassim Diallo, dit qu’il est à la recherche de solutions pour que son enfant puisse continuer ses études.

Mariam Mint Massebgouha, voisine et commerçante au marché de Kankossa, affirme que cet enfant travaille dur malgré son jeune âge et aide sa famille à faire face aux contraintes de la vie. Elle reconnait aussi les difficultés que rencontrent ces jeunes à longueur de journées. Les refus de payement, les maladies, les risques des collusions avec les voitures…

Intérêt supérieur de l’enfant

Malgré la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la Mauritanie, Cheikh, Djibril et des milliers d’autres triment pour offrir un minimum de dignité à leurs parents.

La convention fait de notion « d’intérêt supérieur de l’enfant » une priorité. Est-il de l’intérêt d’un adolescent de porter des sacs de 50 kilogramme, sous le soleil, pendant que d’autres sont en classe ?

Forte prévalence du travail des enfants

Selon l’enquête « par grappes à indicateurs multiples (2015 mics), « plus du tiers des enfants de 5-17 ans (38%) en Mauritanie, ont travaillé, soit en participant à des activités économiques pendant un nombre d’heures qui se situent à la limite ou au-dessus du seuil retenu pour le groupe d’âges, soit en participant à des tâches domestiques à la limite ou au-dessus du nombre d’heures considérés comme approprié pour leur âge, soit en travaillant dans des conditions jugées dangereuses.

La prévalence du travail des enfants est beaucoup plus élevée en milieu rural (45%) qu’en milieu urbain (27%). Elle est presque trois fois plus élevée parmi les enfants des ménages les plus pauvres (56%) que ceux des ménages les plus riches (21%). Les taux sont similaires pour filles et garçons. »

Situation critique

Selon Zeinabou Mint Sideyna, présidente de la Coordination des réseaux et des ongs de développement en Assaba (CORDAK), la situation des enfants dans cette région est critique, malgré les efforts des organisations qui travaillent pour les protéger. Selon elle, les travailleurs mineurs sont exposés à beaucoup de dangers comme l’exploitation, le refus de payement, les maladies, les accidents…

Pour Rakhia Mint Sideyna, présidente du réseau de la petite enfance en Assaba, les rues sont bondées des travailleurs mineurs. On rencontre des charretiers de 10, 12, 13 et 14 ans dans toutes les rues.

Ces enfants sont exploités par des employeurs qui leur donnent 50 ou 100 Mru à la descente ou les payent entre dix à douze mille ouguiyas par mois (ancienne monnaie). Ces enfants chargent et déchargent des sacs de 50 Kilos, des bidons de 20 litres et d’autres objets très lourds.

Elle a également évoqué le cas d’un mineur qui a demandé l’aide de son organisation en septembre 2019. Son employeur avait refusé de payer ses 6 mois des salaires à raison de dix mille ouguiyas par mois (ancienne monnaie). Il a fallu recourir à la justice pour que le petit soit payé.

La vraie solution aurait été, après paiement, d’envoyer le petit là ou doivent se trouver les enfants de son âge. A l’école ou dans un centre de formation professionnelle.

Par Bakary Fofana






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Commentaires (1)

  • mdmdlemine (H) 12/03/2020 15:54 X

    Félicitations Amadou Sy et le Reflet voilà un visage hideux des inégalités de l'esclavage érigé en système et soigné par des politiques inefficaces les défenseurs des droits de l'homme à la solde de l'Etat doivent ouvrir les yeux et voir que c'est insupportable au lieu de dire tout va dans le meilleur des mondes possibles en Mauritanie La presse doit abandonner dans ces reportages et enquetes dans les deux langues pour mettre en exergue la grande fracture sociale et la bombe à fragmentation qui pourrait en résulter à moyen et long termes