23-08-2025 21:00 - Le Machiavélisme au thé vert : Voilà pourquoi le régime mauritanien "reconnait" de nouveaux partis. Par Pr ELY Mustapha

Le Machiavélisme au thé vert : Voilà pourquoi le régime mauritanien

Le « machiavélisme mauritanien au thé vert » pourrait se définir comme un machiavélisme politique contextualisé, un art de gouverner où l’illusion de pluralisme et la division organisée des forces sociales se pratiquent avec la même minutie que la préparation du thé.

Premier verre: amer.

Le pouvoir impose des règles contraignantes, reconnaît des partis faibles, bloque les forces populaires. Comme le premier verre de thé, la politique est amère pour le peuple. Le gaz lacrymogène et les filtres administratifs en sont les ingrédients.

Deuxième verre : doux.

Pour ne pas paraître autoritaire, le régime introduit des signes d’ouverture : plateformes électroniques, dialogues annoncés, reconnaissance de scissions. C'est le second verre. Le goût s’adoucit, l’illusion de réforme apaise momentanément. Mais tout reste sous contrôle.

Troisième verre : dilué.

À force de divisions et de cooptations, le champ politique devient saturé de micro-formations. Lourd à digérer, il le dilue en "reconnaissant" une fournée de partis, qui vont servir ses desseins pour diviser et régner. C'est le troisième verre. Il empêche la construction d’une opposition cohérente. Le peuple, lassé, s’habitue à boire ce thé sans fin, tandis que le Prince se maintient.

Le Machiavélisme au thé vert montre que le pouvoir en Mauritanie ne se contente pas d’appliquer Machiavel. Il l’adapte à sa culture politique : filtrer comme le thé, adoucir pour apaiser, diluer pour neutraliser. L’objectif reste constant : garder la main sur la théière et décider qui aura droit au verre.

La recomposition du champ partisan mauritanien est l'illustration la plus récente de ce machiavélisme au thé vert.

Le ministère de l’Intérieur a récemment délivré une série de récépissés de reconnaissance à de nouveaux partis politiques. Derrière cette décision administrative, se cache une stratégie politique calculée. Le choix de reconnaître certains partis, tout en écartant ceux qui disposent d’une assise populaire ancienne, traduit une logique de contrôle et de fragmentation qui répond à des objectifs précis du régime.

La reconnaissance du parti Nemaa, dirigé par Zeinab Mint Taghi, ancienne figure de Tawassoul, et celle du parti de Jamil Mansour, autre ex-leader islamiste, illustrent une volonté d’affaiblir l’ancien bloc islamiste. Le pouvoir cherche à diviser un courant qui avait acquis une légitimité sociale et électorale solide. Reconnaître les dissidences, c’est diluer la force d’un acteur historique. Dans le même esprit, l’intégration de figures issues de l’opposition, comme Abderrahmane Ould Mini, montre la logique de cooptation : transformer d’anciens contestataires en partenaires institutionnels sous contrôle.

Le refus de reconnaissance à l’opposition radicale et aux partis à forte implantation sociale n’est pas accidentel. Ces formations constituent une menace réelle par leur capacité de mobilisation. Leur légitimité repose sur des réseaux populaires indépendants de l’État. Les nouvelles règles, comme l’obligation de recueillir 5 000 signatures réparties sur huit wilayas, deviennent un instrument de filtrage sélectif. Elles neutralisent les formations capables de mobiliser localement mais qui peinent à satisfaire des critères administratifs exigeants et coûteux.

Comprendre les fondements théoriques de cette stratégie

Cette logique correspond à plusieurs théories politiques connues. Machiavel avait déjà souligné la nécessité, pour un prince, de diviser les forces susceptibles de le renverser. En multipliant les partis satellites et en retardant la reconnaissance des forces populaires, les autorités appliquent une version moderne de cette maxime.

Levitsky et Way parlent, dans leur concept d’« autoritarisme compétitif », de régimes qui organisent des élections pluralistes, mais en biaisant les règles et en contrôlant les institutions. Gandhi, dans sa théorie sur les institutions autoritaires, montre que ces régimes cooptent des élites politiques en leur offrant des sièges et des structures, afin de canaliser et surveiller l’opposition.

Svolik insiste, quant à lui, sur la gestion du double danger des régimes autoritaires : la menace des élites et celle des masses. Le pouvoir mauritanien agit dans cette logique en divisant les élites et en filtrant les masses.

Enfin, la théorie du sélectorat de Bueno de Mesquita explique que le régime entretient une coalition gagnante limitée, à laquelle il distribue des avantages, et qu’il sanctionne toute tentative de création d’alternatives.

Le corporatisme d’État de Schmitter fournit un autre cadre d’analyse pertinent : l’État contrôle les canaux de représentation, octroie la reconnaissance à certains acteurs et l’interdit à d’autres. L’ouverture d’une plateforme électronique pour la soumission des dossiers donne une apparence de transparence, mais l’usage sélectif des règles montre que cette procédure est avant tout un instrument de tri politique.

L’exemple russe de 2012 est éclairant. Le Kremlin a modifié la loi sur les partis pour enregistrer des dizaines de micro-formations, éclatant ainsi l’opposition et multipliant de faux concurrents. Au Maroc, la création et la montée en puissance du PAM ont servi de contrepoids institutionnel au PJD islamiste. En Jordanie, des lois imposant des seuils d’adhérents et une répartition territoriale similaire ont servi à limiter les oppositions.

En Algérie, le pouvoir a reconnu une multitude de petits partis tout en bloquant d’autres, diluant ainsi les forces contestataires.

En Égypte après 2013, un pluralisme de façade a permis de renforcer le parti pro-régime, tout en neutralisant les islamistes du paysage institutionnel.

Ces exemples confirment que la stratégie mauritanienne s’inscrit dans une pratique internationale répandue : organiser un pluralisme contrôlé, où l’opposition existe mais dans des formes fragmentées, divisées et neutralisées (le cas d'u vote du règlement intérieur de l'Assemblée nationale en est un récent machiavélique exemple - scission, trahison et opportunisme.).

Objectifs inavoués du pouvoir

Le régime cherche donc plusieurs résultats. Poursuivant des objectifs inavoués. Maintenir une image d’ouverture en montrant qu’il autorise de nouveaux partis, mais s’assurer que ces partis sont faibles ou dépendants. Éviter la consolidation d’une opposition structurée et enracinée. Utiliser la reconnaissance comme levier de pression et de négociation avec les forces populaires, tout en fragmentant leurs bases. Préserver ainsi un champ politique éclaté, où les adversaires du pouvoir sont trop divisés pour représenter une menace sérieuse.

Ainsi sans en douter donc, la stratégie des autorités mauritaniennes est rationnelle à la lumière des théories politiques sur les régimes autoritaires. Elle combine la division, la cooptation et le filtrage institutionnel. Les exemples internationaux que nous avons cités confirment la logique universelle de ce type de gestion de l’opposition.

Derrière la façade d’un pluralisme en expansion, c’est en réalité un pluralisme sous contrôle qui se construit. La Mauritanie s’inscrit ainsi dans une dynamique où le pouvoir n’ouvre pas l’espace politique pour renforcer la démocratie, mais pour mieux en fixer les limites…autour d'un thé vert.

Pr ELY Mustapha







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Commentaires (8)

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:29 X

    Pr ELY, je partage votre analyse concernant la situation mauritanienne qui se distingue fondamentalement des cas idéologiques comme en Algérie, Russie ou Égypte. Dans ces pays, la mise en œuvre d'idéologies politiques spécifiques (marxisme, léninisme) repose sur des systèmes structurés, indépendamment des questions ethniques. La réalité mauritanienne présente un défi démographique significatif : la population noire constitue une majorité face à l'ensemble des tribus représentées dans la classe politique actuelle, et ce même en incluant les communautés sahraouies et touareg dans l'équation politique. Cette dynamique démographique représente un facteur déterminant qui façonnera inévitablement l'avenir politique du pays et nécessitera des solutions inclusives pour construire une nation véritablement unie.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:29 X

    Professeur ELY, la Mauritanie fait face à des défis ethniques significatifs que vous connaissez parfaitement. Depuis l'arrivée au pouvoir des militaires, leur principale stratégie de gouvernance repose sur l'obtention du soutien tribal en écartant systématiquement les populations noires des sphères décisionnelles. Cette politique découle d'une charte signée par l'ensemble des tribus maures blanches, indépendamment de leur région d'origine. Ce processus d'exclusion, initié lors des événements tragiques de 1989, s'est consolidé en 1990 et 1991 suite à l'échec du coup d'État mené par des officiers noirs - tentative qui auraient pu établir un État véritablement représentatif et permettre une transition démocratique authentique. La classe politique maure semble réduire l'art politique à la division communautaire et au refus systématique d'accorder une autonomie politique ou économique aux populations noires. Cette approche, inscrite dans la charte intertribale, fait l'objet d'un serment collectif garantissant son application, quel que soit le régime en place ou la tribu dominante.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:28 X

    Professeur ELY, les Mauritaniens ayant établi cette charte commencent à éprouver des regrets, sentiment qui s'intensifiera dans les années à venir. Le pays fait face à de nombreux conflits latents qui risquent d'éclater, et ces individus seront les principales victimes de la situation qu'ils ont eux-mêmes créée. En plaçant l'économie et l'administration sous le contrôle de personnes sans éducation formelle et uniquement motivées par l'enrichissement personnel illicite, ils ont manifestement échoué sur tous les fronts. Désormais, leur seule option semble être de se retirer dans les zones rurales pour s'entraîner au tir, afin de protéger leurs personnes et leurs possessions.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:28 X

    Dans cette même charte, il est stipulé que les personnes noires ne peuvent plus accéder à des postes de commandement dans les corps. Ils sont limités au statut de simples soldats sans grade, une règle qui a été effectivement appliquée. Cependant, ce qui fait défaut dans cette supercherie connue de tous, c'est la présence d'hommes tenaces et convaincus, qualités difficiles à trouver. Les véritables combattants du Sahara ne sont pas ceux qui occupent actuellement le terrain, et leurs descendants servant dans les corps ne démontrent pas les compétences nécessaires pour diriger efficacement au-delà des bureaux climatisés.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:28 X

    Selon le Pr ELY, la reconnaissance des partis politiques satellites s'effectue à la mauritanienne. Heureusement, la population qu'ils représentent ne dépasse pas 30% au maximum, même en incluant les Sahraouis mauritanisés sous la pression du conflit. Les autorités ont commis des erreurs stratégiques majeures en communication en refusant de reconnaître le RAG et le FPC, ce qui a paradoxalement renforcé leur popularité. Comme vous le soulignez, elles craignent de voir l'ensemble des acteurs politiques basculer dans l'opposition, alors que les mécontents sont déjà plus nombreux que les partisans du pouvoir dans la classe politique. Si Ghazouani anticipait ce qui l'attend, il aurait reconnu le RAG, car ce parti pourrait être le seul à le défendre demain, reproduisant ainsi la dynamique observée avec Aziz.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:28 X

    Le parti RAG a gagné en popularité auprès des Mauritaniens précisément en raison de son interdiction par les autorités. Cette situation illustre parfaitement la tendance des Mauritaniens à être attirés par ce qui est prohibé - qu'il s'agisse d'alcool, de stupéfiants, de relations féminines ou même du thé vert consommé pendant la lecture, tous très prisés jusque dans l'intimité des foyers. L'intérêt croissant pour le RAG découle directement de sa mise au ban par le gouvernement, révélant aux citoyens la crainte qu'inspire ce parti aux autorités, notamment pour ses accusations envers les mauritaniens, qu'il qualifie de racistes et de falsificateurs systématiques.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:27 X

    Les communautés ont pris conscience que les populations noires semblent privées du droit de former des partis politiques. Le jour des élections, les formations à dominante maure risquent d'être sanctionnées par les électeurs. L'absence de reconnaissance dans les communautés affecte profondément les populations noires, et l'individualisme imposé par le système jouera en leur défaveur. La fraude électorale ternit notre image internationale. L'expérience des années précédentes a démontré que même un vote tribal unanime ne suffit pas pour remporter une élection locale. La politique du "thé vert" pourrait donc s'avérer illusoire.

  • Hartaniya Firilile (H) 23/08/2025 23:27 X

    Si le RAG obtenait sa reconnaissance officielle, nous assisterions à un ralliement massif sans précédent, propulsant Biram à la présidence avant même la tenue du scrutin. Le système s'effondrerait progressivement. C'est précisément ce qu'ils ont compris. Pourtant, même sans la reconnaissance officielle du RAG et du FPC, les populations noires sanctionneront fermement les partis Bédanes, accusés de racisme et d'antisémitisme.