29-09-2025 04:36 - Banque africaine de développement : qui murmure à l’oreille de Sidi Ould Tah ?

LA DÉPÊCHE -
Le mandat du nouveau président de la Banque africaine de développement (BAD)
a débuté le 1er septembre. S’il n’a, à ce jour, procédé qu’à une seule nomination, il
devrait s’appuyer sur une poignée de conseillers et d’experts de la finance
internationale. Il pourra aussi compter sur les artisans de sa victoire.
« Le temps est à l’action ». Après les remerciements de rigueur, il s’agit de la
première phrase prononcée par Sidi Ould Tah en tant que président de la Banque
africaine de développement (BAD). Le 1er septembre, lors de son discours
d’investiture, il a dessiné les grandes lignes de sa feuille de route pour les cinq
années à venir.
Le nouveau patron de la BAD a assuré ne pas se faire « d’illusions sur les
multiples défis auxquels fait face notre continent ».
L’ancien ministre mauritanien
de l’Économie (2008-2015) qui fut aussi, jusqu’en avril 2025, le directeur général
de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) a,
entre autres, évoqué les « bouleversements géopolitiques », « la remise en cause
du multilatéralisme », la « réduction de l’aide publique au développement », « la
dette » des pays africains, ou encore l’impact du « changement climatique ».
Il a promis de ne pas prendre de décision hâtive et les 100 premiers jours de son
mandat seront consacrés à la concertation avec le personnel de l’institution et ses
actionnaires, c’est-à -dire les pays du continent et les pays membres non africains.
« J’ai l’intention d’entamer ce parcours dans un esprit d’humilité, de concertation
et de pragmatisme », explique-t-il. Dans cette optique, il a décidé, dans un
premier temps, de ne pas bouleverser l’organigramme de la première institution
du financement du développement du continent et ne devrait s’entourer que d’une que d’une poignée de fidèles.
La tour de contrôle
Plus de trois semaines après sa prise de fonction, Sidi Ould Tah n’a recruté qu’une
seule et unique personne : Thierry Hot (1). Depuis l’annonce de sa candidature
en janvier 2024, le Camerounais de 52 ans, ancien journaliste à la BBC et
fondateur du journal Notre Afrik, suit le président Sidi Ould Tah comme son
ombre.
Après avoir coordonné sa campagne électorale, il devient son conseiller exécutif –
chef de cabinet. Conseiller en stratégie, directeur de sa communication,
logisticien, secrétaire particulier, confident… En attendant que le cabinet de Sidi
Ould Tah ne s’étoffe, il est la tour de contrôle du président de la BAD, celui par qui toutes les requêtes doivent passer.
Ancien conseiller du président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, le natif
de Douala s’est fait un nom dans le petit monde de la finance du développement
en mettant sur pied Rebranding Africa. Depuis une dizaine d’années, ce forum
rassemble à Bruxelles des décideurs du continent qui débattent de son avenir. La
Badea faisait partie des sponsors de l’évènement et Sidi Ould Tah, qui a présidé l’institution pendant dix ans, a régulièrement fait le déplacement en Belgique
pour y participer.
Le premier cercle
Ils n’ont pas de fonction officielle mais ils ont joué un rôle central pendant sa
campagne et continuent de lui prodiguer leurs conseils avisés. Parmi ces
éminences grises, figure la Franco-Tanzanienne Frannie Léautier (2), qui avait
l’intention de briguer la présidence de la BAD mais dont la candidature n’a pas été
retenue par l’Afrique australe. Elle a soutenu la candidature de Sidi Ould Tah dès
le début.
L’ancienne vice-présidente de la BAD et de la Banque mondiale, n’hérite pas d’un
rôle formel au sein de l’organigramme de l’institution, mais elle conserve l’oreille
de son président. Celle qui reste directrice générale de SouthBridge investments,
le fonds d’investissement cofondé par Lionel Zinsou et Donald Kaberuka, a
largement participé à l’élaboration du programme du Mauritanien, dénommé
« les quatre points cardinaux » : réformer l’architecture financière africaine,
transformer le dividende démographique en puissance économique, industrialiser
le continent tout en valorisant ses ressources naturelles et mobiliser les capitaux Ã
grande échelle.
Elle n’est pas la seule à avoir œuvré dans l’ombre pour amener Sidi Ould Tah vers
la victoire : le Togolais Didier Acouetey (4) fondateur d’AfricaSearch, un cabinet
de conseil en ressources humaines renommé ; l’enseignant-chercheur bissau-
guinéen et ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations
unies pour l’Afrique Carlos Lopes (5) ; et le Rwandais Donald Kaberuka (6),
président de la BAD entre 2005 et 2015, ont tous apporté leur contribution au
programme et font partie du premier cercle du Mauritanien.
De la même manière, Serge Ekué (3), le président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), a joué un rôle crucial lors de la campagne de son « ami ». Le Béninois a notamment pesé de tout son poids pour convaincre
plusieurs capitales ouest-africaines de soutenir Sidi Ould Tah, dont Abidjan.
Les deux hommes se sont rencontrés alors que le banquier d’affaires d’alors
prenait ses fonctions à la tête de la banque régionale de développement.
Ensemble, ils ont imaginé un montage financier pour permettre à l’institution
financière commune aux huit pays de l’UEMOA d’augmenter son capital sans que
cela n’ébranle les finances publiques des États. Depuis, les deux hommes sont
restés très proches. Il leur arrive même de se téléphoner tard le soir pour évoquer
les défis du continent.
Le réseau ivoirien
Comme l’avait révélé Jeune Afrique à l’époque, le président ivoirien Alassane
Ouattara (7) (ADO) est l’un des premiers à avoir apporté son soutien au
Mauritanien grâce à l’entremise de Serge Ekué. Avant de se lancer dans la course Ã
la présidence de la BAD, Sidi Ould Tah s’était assuré de pouvoir bénéficier de
l’aura diplomatique de ce dernier, qui a reçu à Abidjan Mohamed Salem Ould
Merzoug. Quelques jours après son investiture, le Mauritanien lui a réservé sa
première visite officielle. Il faut dire que le siège de la BAD n’est qu’à quelques
encablures du Palais.
Ces entrevues ont à chaque fois été facilitées par deux très proches collaborateurs
d’ADO, qui ont également de très bonnes relations avec le Mauritanien : Fidèle
Sarassoro, son directeur de cabinet et Masséré Touré, la secrétaire générale et
directrice de la communication de la présidence.
Finalement, Alassane Ouattara et ses homologues du continent n’ont pas été
difficiles à convaincre. Sidi Ould Tah, en tant que président de la Badea, a souvent
permis aux chefs d’État du continent de financer des projets stratégiques. Par
exemple, cette année, la Badea a participé au financement de deux Airbus A330-
900 neo, pour un montant de 76,6 millions de dollars. De quoi permettre à Air
Côte d’Ivoire de concrétiser ses ambitions intercontinentales.
Les prêts accordés par la Badea à la Côte d’Ivoire ont souvent été négociés par la
très influente Nialé Kaba (8). Grâce à sa double casquette de ministre de
l’Économie, du Plan et du Développement de Côte d’Ivoire et, jusqu’en mai
dernier, de présidente du conseil des gouverneurs de la BAD, elle a rencontré Sidi
Ould Tah à de nombreuses reprises.
Le socle mauritanien
À Nouakchott, le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani (9), qui a
dirigé l’Union africaine de 2024 à 2025, a très vite pris les choses en main, en
déployant d’importants moyens et en mobilisant des équipes. « Il y a cru tout de
suite », résume un proche. En mars 2025, il a mis en place un double comité, l’un
dirigé par le Premier ministre Mokhtar Ould Diay (10) (pilotage) et le second,
par le ministre de l’Économie d’alors, Sid’Ahmed Ould Bouh (11) (coordination),
lequel s’est particulièrement mobilisé pour obtenir des financements.
Pour tenter de rallier le plus de soutiens, et surtout ceux des grands électeurs, le
chef de l’État s’est appuyé sur son ministre des Affaires étrangères, Mohamed
Salem Ould Merzoug (12). En poste depuis 2022, cet ancien ministre de
l’Intérieur est l’un des caciques du pouvoir à Nouakchott. Pendant près d’un an, il
a multiplié les voyages pour crédibiliser la candidature de son compatriote dans
les milieux diplomatiques. C’est lui qui a obtenu les promesses de vote du Nigeria, de l’Égypte, de l’Algérie ou encore du Maroc (au second tour).
Parmi les pays non
régionaux, le Canada, l’Espagne ou encore la France ont aussi rejoint grâce à lui le
camp mauritanien. L’enjeu est alors suffisamment important pour qu’il se
rapproche également du Malien Assimi Goïta qui lui promet son vote. Bamako
tiendra parole et fera aussi le lien avec le Niger et le Burkina Faso.
Le jour du vote, le 29 mai, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a discrètement
réuni à la présidence Mohamed Salem Ould Merzoug, ainsi que son directeur de
cabinet, Nani Ould Chrougha. Cette mini task force a, jusqu’au dernier moment,
multiplié les appels téléphoniques. Le chef de l’État a notamment joint son
homologue français Emmanuel Macron, alors en déplacement en Asie du Sud-
Est, qui a rapidement obtenu le soutien de tous les pays du G7, à l’exception des
États-Unis. Le président mauritanien a aussi appelé l’Égyptien Abdel Fattah Al-
Sissi.
Autre figure de la campagne, Jemal Taleb (14) a été nommé par décret à la tête de
la communication de Sidi Ould Tah. Ambassadeur itinérant et avocat de l’État
mauritanien (il officie au sein du cabinet parisien Diamantis&Partners), il a
organisé à Nouakchott plusieurs évènements autour du candidat, dont un dîner
en mai dernier réunissant l’essentiel des acteurs politiques et diplomatiques du
pays. Il a aussi à son actif le co-pilotage, avec d’autres collaborateurs de l’ex-
ministre, de plusieurs conférences de presse.
Enfin, Sidi Ould Tah s’est appuyé en coulisses sur son ami de toujours, le
conseiller chargé des questions de sécurité du président, Ahmed Ould Bah (13).
Celui qu’on appelle « Hmeida » en Mauritanie a joué le rôle de trésorier en
tandem avec Sid’Ahmed Ould Bouh. Autre amie de l’ex-président de la Badea,
Aïssata Lam, bien que sans fonction officielle, a accompagné ce dernier lors de presque tous ses déplacements. Dynamique et bien connectée, elle dirigeait
jusqu’à encore très récemment l’Agence de promotion des investissements en
Mauritanie (APIM).
Les soutiens du Golfe
L’élection de Sidi Ould Tah n’est pas seulement une victoire mauritanienne, c’est
aussi un succès diplomatique pour les pays du Golfe, Arabie saoudite en tête.
Après 10 ans passés à la tête de la Badea, dont l’actionnariat est détenu par les
pays de la Ligue arabe, Sidi Ould Tah peut se prévaloir d’un solide carnet
d’adresses dans la péninsule arabique. Riyad est également un partenaire
économique historique de la Mauritanie, tout comme le Koweït. Le président
Ghazouani a également travaillé, depuis son arrivée au pouvoir en 2019, Ã
renforcer les liens avec le Golfe.
Un réseau qui s’était discrètement mobilisé lors de son élection pour finir de
convaincre les indécis et ce, bien au-delà des pays de la Ligue arabe. En effet, alors
que les États-Unis de Donald Trump ont déjà décidé de supprimer leur
contribution au Fonds africain de développement – un dispositif qui permet à la
BAD de faire des dons aux pays les plus pauvres ou de prêter à des taux
préférentiels –, et que plusieurs pays européens prévoient également de réduire la voilure, les pays du Golfe pourraient compenser ce manque à gagner.
De l’avis des observateurs, les liens tissés par Sidi Ould Tah dans le Golfe ont
achevé de faire pencher la balance en sa faveur le jour du vote. Et, alors que le
Mauritanien se fait le chantre des partenariats, nul doute qu’il pourra compter sur le soutien du nouveau président de la Badea, le Koweïtien Abdullah Kh
Almusaibeeh (15), du président du fonds de l’Opep Abdulhamid Alkhalifa (16),
dont les yeux et les pétrodollars se tournent de plus en plus vers l’Afrique, de
Muhammad Sulaiman Al Jasser (17), le président de la Banque islamique de
développement (BID) et du PDG du Fonds saoudien pour le développement,
Sultan Al-Murshed (18).
Au final, l’élection de Sidi Ould Tah a également été le
marqueur d’un tournant majeur dans la finance du développement en Afrique
avec des partenariats Sud-Sud qui se renforcent alors que le retrait progressif des
pays du Nord se confirme.
Thaïs Brouck
Journaliste économie à Jeune Afrique, spécialiste de la macro-économie
Justine Spiegel
Rédactrice en chef adjointe Politique de Jeune Afrique