08-12-2025 18:45 - D’où leur vient tout cela ?/El Wely Sidi Heiba

D’où leur vient tout cela ?/El Wely Sidi Heiba

Weli Cheikhbouya -- À la lumière des faits tangibles, des archives authentifiées et des témoignages historiques, il est difficile, voire impossible, de contester une vérité pourtant simple : pendant des siècles, et jusqu’à une époque relativement récente, les habitants de ce pays n’ont jamais connu la richesse au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

Leur univers était façonné par le soufisme rigoureux de leurs aïeux, une ascèse presque instinctive, une distance profonde à l’égard des professions lucratives, et un environnement naturel aride, ingrat, austère, qui ne laissait que peu de place au développement économique.

Cette conjonction de facteurs a modelé une société dont l’imaginaire ne s’est jamais nourri de l’accumulation matérielle. Les populations ne disposaient ni :

· de palais somptueux érigés à la gloire des lignées,
· de vastes domaines agricoles,
· de métiers générant des revenus substantiels,

· d’ateliers ou de manufactures tournés vers le marché,

· de vergers prospères ou de jardins nourriciers,

· ni de champs étendus permettant une agriculture régulière, capable d’approvisionner les marchés en denrées variées : légumes, légumineuses, oignons, ou fruits.

Cette pauvreté matérielle se reflétait jusque dans la langue. Le vocabulaire de l’abondance était absent du quotidien : point de dirahms, de dinars, de pièces d’or ou d’argent, ni dans les mots ni dans les mains. À la place, on ne trouvait que des expressions populaires, naïves et révélatrices, pour évoquer la possession :

· L’argent était nommé « le bétail الحيوان», au point que l’on disait : « Untel a du bétail بحيوانو», signifiant simplement qu’il disposait de quelque ressources.

· Un autre terme, « Chi », marquait une certaine aisance : « Untel andou Chi », c’est-à-dire qu’il n’était pas dans le besoin.

Lorsque le pays entra - souvent malgré lui - dans l’ère moderne sous l’administration coloniale française, des formes timides de richesse apparurent. Mais elles demeuraient modestes, presque anecdotiques, au regard de ce que l’on observe aujourd’hui : des fortunes colossales, amassées en l’espace de quelques décennies, sans production identifiable, sans industrie réelle, sans aucune activité économique ou manufacturière génératrice, comme surgies du néant. Cette métamorphose soudaine interroge et conduit inévitablement à s’intéresser aux trajectoires des « nouveaux riches de la République », désormais propriétaires de :

· centres commerciaux démesurés,

· banques secondaires regorgeant de devises,

· bureaux de change aux flux opaques,

· immeubles imposants ayant remplacé des espaces publics entiers.

L’ampleur de ces possessions laisse deviner, à peine voilée, l’étendue du gaspillage du bien public, nourri par des décennies de mauvaise gouvernance, de prédation méthodique, de corruption enracinée et de dilapidation systématique.

Plus subtil encore - et plus troublant - est le choix des noms attribués à nombre de ces institutions financières. Beaucoup ont adopté des appellations tirées du Coran ou inspirées de nobles attributs divins, comme pour se parer d’un vernis de respectabilité, d’un halo de piété destiné à rassurer l’opinion.

Or, ces établissements ont été fondés pour la plupart grâce à des fonds publics accaparés de manière illégitime, en contradiction flagrante avec l’éthique religieuse comme avec la simple probité humaine. Ils accueillent, aujourd’hui encore, des dépôts issus des mêmes circuits, placés par des responsables ayant parfois considéré leur fonction non comme un service, mais comme un héritage familial.

Les bureaux de change dits « libres », quant à eux, tirent une part importante de leurs devises des facilités offertes par la Banque centrale, régulièrement mises au service des intérêts privés de quelques privilégiés. La scène économique contemporaine prend ainsi des airs de grande symphonie où ne jouent que des virtuoses issus :

· de l’aristocratie traditionnelle,

· de la classe politique opportunément alliée,

· et d’un écosystème de courtisans composé :

· de poètes prêts à chanter les louanges des nantis,

· de journalistes experts en insinuations et en délations,

· et de prédicateurs, vivant des restes de la table des prédateurs, et que le grand prédicateur Ould Sidi Yahya qualifia un jour de « docteurs des miettes ».

Face à cela, une question demeure - simple, frontale, incontournable :

À l’avenir, ces détenteurs de fortunes colossales, bâties dans l’ombre et sans justification économique réelle, seront-ils enfin interrogés : d’où leur vient tout cela ?



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