19-07-2019 21:00 - Un acharrenement injustifié

Un acharrenement injustifié

Le Rénovateur Quotidien - Au cours des débats de la dernière séance de l’Assemblée Nationale Med Bouya s’est peut être fourvoyé en usant d’un style imagé pour décrire certaines décisions du Gouvernement qu’il a jugé inoportunes déplacées ou même indécentes.

Cette intervention eut l’effet d’un coup de tonnerre et ses échos ne cessent de s’amplifier. Certains ont qualifié les propos du député d’offense intolérable d’autres ont crié au crime de lèse majesté. Il s’agit pourtant d’un mode d’expression courant que bien des auteurs ont choisi pour contourner la censure et s’attaquer aux excès et vices des maîtres de ce monde.

Au XVII siècle déjà, La Fontaine en a fait son mode littéraire de prédilection, les Fables, pour dénoncer les défauts et travers de la société. Tout dans ses écrits a été passé au crible: le despotisme des grands à travers son expression proverbiale: "la raison du plus fort est toujours la meilleure"(le loup et l’agneau).

Le ridicule des petits arrivistes qui cherchent à tout prix à adopter le mode de vie et les postures des Grands: » Tout bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs Tout petit prince a des Ambassadeurs »(la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf).

Sur le même ton, La Fontaine s’est attaqué à l’avidité des grands seigneurs à travers le partage en quatre parts du Cerf entre le lion et ses trois associés, la genisse, la chèvre, et la brebis. On sait désormais que la première part revient au Lion en qualité de Sire, la seconde part aussi parce qu’il s’appelle lion, et la troisième de même, parce qu’il est le plus vaillant, et la quatrième parce que celle qui y touche, le lion l’etranglera.( La Genisse, la chèvre et la brebis en société avec le lion) Dans ces mêmes fables l’humeur belliqueuse et expansionniste de Louis XIV est dénoncée: » quelque vains lauriers que promette la guerre. On peut être héros sans ravager la terre! »

Je me suis autorisé cette longue digression pour montrer que si déjà au XVII siècle, l’un des sujets du Roi Soleil, celui qui se prétend représentant de Dieu sur terre et qui ne se gênait pas de proclamer: « la loi c’est moi » si ce sujet osait pareilles critiques, à peine voilées, sans être inquiété, on ne doit d’aucune façon se formaliser aujourd’hui au XXI siècle d’un jugement, quelque outrancier soit-il, émis par un député en plein débat parlementaire.

On a parfois l’impression que les parlementaires de la majorité se trompent sur leur mission et se croient destinés à faire obstacle au vrai débat, celui qui tourne et retourne l’ensemble des questions, examine tous les aspects des problèmes et fouille dans les détails. Appartenir au groupe parlementaire de la majorité ne signifie pas soumission à la volonté de l’exécutif et effacement devant ses représentants. Telle est malheureusement l’impression d’ensemble qui se dégage des interventions des orateurs de ce groupe et du mutisme mystérieux adoptés par certains de ces éléments censés pourtant être des plus avertis et plus aptes à approfondir les débats.

Ce désintéressement général, cette allergie à tout questionnement, à tout commentaire a poussé certains à vouloir réduire à une minute le temps de parole. Nous autres observateurs nous nous serions vite détournés des débats parlementaires si, quelque part, il n’y avait pas les mise au point véhémentes de Dane Ould Ethmane, les sombres réticences de Ould Bennahi, les critiques polies, mesurées et combien percutantes de Khalile Ould Enehwi et les coups de bélier redoutables de Mohamed Bouya.

En effet l’Assemblée est le lieu des grands deballages, le creuset où se forment les esprits et d’où sortent les grands orateurs et les tribuns hors pairs. Et Mohamed Bouya, à travers ses propos prétendument controversés, est parfaitement dans son rôle. Les parlementaires loin de s’en effaroucher gagneraient à s’en inspirer.

La dernière décennie a été incontestablement laborieuse et des réalisations louables ont été effectués dans bien des domaines mais le chantier est immense et beaucoup reste à faire. Il ne faut donc pas s’étonner si, malgré tout, les critiques continuent à fuser de toutes parts.

Pour certains la gestion de la dernière décennie comporte des zones d’ombre que personne n’ose effleurer sans s’exposer au pire. Sans partager les soupçons de ceux qui tiennent à s’y aventurer, je pense qu’une bonne partie de l’opinion politique ne connaîtra l’apaisement tant que ces interrogations persistantes et depuis longtemps en suspens, n’ont pas trouvé de réponse. Une chose cependant est certaine, c’est que cette décennie a été sans équivoque la plus vaste pépinière où le népotisme et le favoritisme fleurirent avec luxuriance.

Les protégés du pouvoir se sentirent tout permis et se livrèrent à coeur joie à soumettre à toutes sortes de tracasseries et de brimades tous ceux qui manifestaient une quelconque velléité d’indépendance, ou d’indignation face à un amour propre blessé ou une injustice essuyé, Ce phénomène bien que plusieurs fois dénoncé n’a fait qu’empirer et a fini par devenir un style de gouvernement allègrement affiché. Les faveurs du pouvoir, dix années durant, furent concentrés au niveau d’une coterie restreinte.

Les membres de cette coterie bénie formèrent chacun sa petite cour. Tout le reste de la nation fut tenu, sans état d’âme, à distance. C’est cet état de fait qui explique le malaise larvé et les propos peu tendres qui s’élèvent d’ici et là. Les auteurs de ces sorties intempestives méritent d’être compris et non fustigés.

Professeur Abderrahmane Sidi Hamoud



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 4
Lus : 6800

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (4)

  • NDIEWO (H) 20/07/2019 14:04 X

    Tout ce que nous vivions à travers nos lois, notre législation, notre constitution, nos références littéraires, ´nos cosmetiques etc, etc... prennent leur source en France; heureusement pour nous. Vive la Mauritanie francophone.

  • bleil (H) 20/07/2019 00:10 X

    Normalement les députés qui participent à l'Assemblée nationale sont élus au suffrage universel et participent à la gouvernance du pays… ce n'est pas le cas de nos jours, les thuriféraires des militaires au pouvoir font la loi ... Qui se sent morveux se mouche ! Quant à la dernière décennie, elle a été aussi « laborieuse » que les précédentes mais plutôt coma-tique pour nos populations … la misère abjecte crève les yeux partout alors que la situation économique devrait permettre de meilleurs performances dans la lutte contre la pauvreté … le premier chantier du pays, celui qui est relativement facile à réaliser, demeure la légitimité du pouvoir politique ! les critiques fusent de partout parce que le pouvoir absolue, ignorant et rustre, a saccagé toute velléité de progrès social, culturel, artistique ou simplement toute tentative intellectuelle de changement ! Parce que la coterie restreinte est devenue prédatrice, vulgaire et sans limites ! Maintenant vous connaissez, comme tout le monde maintenant, l'histoire de notre sanglier national que pourtant Habib Mahfoudh avait utilisé comme métaphore pour attirer l’attention sur la tendance fâcheuse qui s’annonçait à l’époque …

  • El Houssein (H) 19/07/2019 21:54 X

    Très beau texte et sages conseils. Aujourd'hui, on charge encore à s'exprimer par des fables, mais demain, très proche, ceux qui parleront, le feront sans réserves ni contours. Il faut s'y préparer et accepter d'y répondre sans méchancetés ni agressivité. C'est ainsi que pourra bien évoluer notre démocratie et plus de transparences dans la gestion de la chose publique apparaitront.

  • khaledwalid (H) 19/07/2019 21:37 X

    Cher Professeur. La comparaison avec les célèbres fables de Lafontaine ne tient pas une fraction de seconde. Les fables sont autant intelligentes et intelligibles que les propos de ce monsieur ont été vulgaires et d'une grande bêtise. Ce qui surprend c'est qu'il n'a pas été remis à sa place, ou même sorti des lieux, par celui qui présidait la séance ce jour là.