08-08-2019 19:30 - Et si le Président Ghazouany réussissait son pari
Imam Cheikh - Je suis l’un des premiers mauritaniens à avoir appuyé avec force le processus qui aurait dû mener notre pays enfin à une alternance pacifique et démocratique réelle.
Depuis 2015 j’ai écrit une série d’articles appelant au dialogue inclusif avec l’opposition et soutenant sans réserve la décision du président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz de ne pas briguer un troisième mandat et de se conformer ainsi aux dispositions de la constitution.
Ce dernier acte posé par l’ancien président avait aiguisé mon appétit démocratique allant jusqu’à me faire croire que le cadre était déjà posé pour un dialogue décisif vers une transition réelle et un changement notoire dans notre système politique ouvrant ainsi la voie à une réorientation de notre système de gouvernance et une refondation de nos institutions démocratiques permettant une égalité de chances devant des urnes qui seront le seul arbitre dans un jeu démocratique sain.
A notre grand désespoir, le déroulement de l’élection présidentielle du 22 juin, entaché de fraudes et d’irrégularités multiples et criantes, a confirmé que la CENI, le Conseil constitutionnel, la HAPA ont été en dessous des attentes du peuple mauritanien ;
Les candidats qui se sont lancés dans l’arène de l’élection présidentielle, et dont j’ai soutenu et continue de soutenir l’un d’eux, Sidi Mohamed Ould Boubacar, ont fait les frais de ce déficit institutionnel ;Ils ont beau crié gare dans un premier temps et ensuite crié haro sur le baudet à l’issue du scrutin, rien n’y fit, le rouleau compresseur déroulé par l’indécrottable force de l’alliance entre le pouvoir militaro affairiste, la ploutocratie, la féodalité, une élite avachie, un clergé opportuniste, et tous ceux qui les suivent consciemment ou inconsciemment depuis 1978, broya l’espoir d’un instant de voir naitre une autre Mauritanie.
Et pourtant la victoire pour cette naissance était là , à portée de main, si des mains occultes n’en avaient décidé autrement et à dessein. A l’aube du 23 juin, après une longue nuit qui gardera les traces indélébiles d’une fracture de la Mauritanie en deux, l’on s’est rendu compte que 48%, des mauritaniens, (le chiffre de la CENI et du Conseil constitutionnel en dépit des irrégularités et de la fraude), veulent autre chose…Le chiffre est symbolique et révélateur.
Il lance un signal fort: Les mauritaniens s’affranchissent de plus en plus des tutelles, des maitres penseurs, des objecteurs de conscience fourbes, des rabatteurs de voix et commencent à se forger leur propre opinion et leur propre décision ; Un acquis considérable dans la formation des nations démocratiques car la prise de conscience individuelle et le libre choix sont la quintessence et la sève nourricière de toute démocratie républicaine.
Il est clair, comme je l’avais souvent dit, que le paysage politique de la Mauritanie avant 2019, ne sera plus le même après 2019. La Mauritanie change, a changé et le mérite en revient à tous ces grands hommes politiques surtout de l’opposition qui ont abattu, durant des décennies, tant d’énergie, de temps et de moyens à leur propre détriment souvent, pour atteindre cet objectif. Dans le même sillage, le pouvoir, ses hommes politiques, ses élites…doivent changer. Le président de la République élu, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouany, a, devant le peuple et l’histoire, une lourde responsabilité.
Il est, de l’unanimité des mauritaniens, un homme posé, intelligent, doté d’un sens aigu du respect de l’autre et de la convivialité, patriote, et capable de rassembler…Ce n’est nullement de la flagornerie, ni de la complaisance, ni de la compromission, c’est une conviction fondée sur un constat réel, je connais l’homme personnellement depuis deux décennies.
Je fais la part entre l’homme et ses qualités intrinsèques et le système auquel il a appartenu et contre lequel j’ai voté pendant l’élection présidentielle. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce système à avoir gardé une hauteur de vue par rapport à certains errements de la gouvernance passée; Son premier ministre et son directeur de cabinet font partie de cette minorité de hauts commis de l’Etat et personnalités qui se distinguent du lot.
Espérons qu’ils fassent des émules dans le gouvernement en cours de formation. Par ailleurs, je crois personnellement que le nouveau président avait pris ses distances des écarts de toutes sortes constatés pendant la campagne électorale, et qu’il a tout fait pour être au-dessus de la mêlée. Ses discours ont toujours été de haute facture et ont constitué une source de fierté pour ses sympathisants et de rassurance pour ses adversaires. Cet état de grâce, appuyé par une reconnaissance de la communauté internationale, n’est pas sans fin, surtout qu’il gère depuis son arrivée à la tête de l’Etat, une situation confuse avec une administration désarticulée et des déséquilibres budgétaires dangereux. Le Président Ghazouany doit saisir la portée de cette élection.
Il doit se considérer à la tête d’un pays, coupé en deux courants d’opinion opposés et à peu près égaux, un pays en transition permanente vers une réelle démocratie. Sa promesse d’être le président de tous les mauritaniens n’est pas passée inaperçue. A cet effet il doit lancer de grands chantiers indispensables à la pérennité de la Mauritanie en tant que nation forte, respectée, libre et indépendante.
D’abord sauver notre économie nationale des conséquences désastreuses de l’improvisation et de l’amateurisme, et la rebâtir sur des bases solides en fonction des exigences de l’heure et des défis liés à l’exploitation très prochaine du gaz et du pétrole ; Deuxième défi, notre système éducatif est dans une situation de déliquescence et ne répond nullement aux demandes liées aussi bien au marché du travail actuel qu’à celui de la prospective ;
Ajoutons-y son impact dévastateur sur notre unité et notre cohésion nationales ; La Mauritanie souffre de plus en plus des fossés et des fractures sociales. Lors du dernier scrutin présidentiel, l’on a malheureusement constaté combien le vote identitaire prend de plus en plus de place. Parallèlement il est impératif de procéder à la refondation de nos institutions et la réorganisation de l’espace démocratique ; Cela sous-entend la révision totale de la présente CENI, du Conseil Constitutionnel, de la HAPA, une dissolution et une réélection de l’assemblée nationale, des conseils régionaux, des communes dont il faut procéder à une relecture des prérogatives.
Ces grands projets ne pourront être soutenus et accompagnés que par des citoyens, civiquement responsables et en pleine possession des exigences de l’Etat citoyen. Dès lors s’imposent une « repersonnalisation » de l’homme mauritanien, une construction des esprits, une préparation et une habilitation des mauritaniens à affronter les défis qui nous assaillent de partout et que seuls des citoyens éduqués, émancipés, responsabilisés pourront relever.
Affronter ces défis et les gagner requiert l’apport de tous les acteurs politiques, de toutes les organisations non gouvernementales, de toute l’élite, de chaque citoyen, à quelque niveau qu’ils soient. Le slogan de sa campagne, la teneur de ses discours font penser que le Président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouany, pourrait être l’homme du consensus tant recherché par le peuple mauritanien ; Un consensus fondé sur la justice, l’équité, la fraternité, sur une volonté d’éviter la chasse aux sorcières, de ramener tous les fils de ce pays au bercail et de les remettre dans leurs droits et leur dignité. A défaut, les mauritaniens continueront de subir, subir et subir …..
Et le mythe de Sisyphe sera toujours là …... Le développement du pays, son indépendance, l’épanouissement de son peuple, sa fierté et son honneur, l’avenir des futures générations continueront à être hypothéqués en permanence. L’atmosphère de concertation, de dialogue et de compréhension réciproque tant souhaitée par le peuple s’éloignera tel un mirage une fois de trop…
Imam Cheikh
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