27-11-2025 20:16 - Devons-nous dépasser le sentiment amer d’injustice pour célébrer la fête de l’Indépendance ?
Mohamed Sidatt -- À la veille du 28 novembre, les rues de Nouakchott et de toutes les villes mauritaniennes s’animent.
Les drapeaux flottent aux balcons, les voitures arborent fièrement l’emblème national, les bâtiments officiels s’illuminent aux couleurs rouge et vert. Partout, une atmosphère de liesse semble gagner la population.
Partout, sauf en moi.
En moi, c’est un silence lourd, habité par une colère sourde et une déception profonde. Alors que le pays s’apprête à commémorer son indépendance, je ne ressens aucune euphorie, seulement un sentiment amer d’injustice. Et je sais que je ne suis pas seul.
Un pays qui abandonne ses propres enfants
Ma colère naît d’un constat simple : ce pays, le nôtre, semble avoir abandonné une partie de ses enfants. J’ai étudié, travaillé, respecté les règles. Pourtant, je ne fais pas partie des heureux élus, de ces « fils et filles de la nation » qui héritent de privilèges et de postes non pour leurs compétences, mais pour leur nom, leur réseau ou leur allégeance.
Ce sont les favoris de la République, ceux qui, à chaque changement de régime, demeurent en première ligne. Non parce qu’ils excellent, mais parce qu’ils ont su plaire, servir ou parfois trahir. Leur constance n’est pas une preuve de mérite : elle est le symptôme d’un système verrouillé.
Une injustice érigée en système de gouvernance
Cette injustice n’est pas une exception ; elle est devenue un mécanisme de gouvernance. Injustice envers ceux qui ont cru en la Mauritanie et se sont sacrifiés pour elle : Moctar Ould Daddah et les pionniers de l’indépendance ;
le colonel Gader et Ahmed Salem Ould Sidi, tombés pour mettre fin à la tyrannie ;
le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, premier président démocratiquement élu, renversé par une junte militaire sans scrupules.
Injustice, surtout, envers les victimes du passif humanitaire, qui attendent encore, des décennies plus tard, que justice, vérité et dignité leur soient enfin rendues.
Comment célébrer un pays qui détourne le regard de ses propres blessures ?
Quand l’État récompense la médiocritév Je suis en colère parce que ce pays met en avant des visages qui ne devraient pas le représenter. Ceux qui confisquent les postes clés au nom d’un équilibre tribal ou ethnique, transformant une noble intention en prétexte pour installer la médiocrité au détriment de la compétence. Ceux qui dirigent nos institutions non par mérite, mais par la force de leurs réseaux. Ceux qui contrôlent notre armée, pilier supposé de la nation, alors qu’ils figurent souvent parmi les plus corrompus ou les moins courageux.
À force de privilégier les moins capables, comment espérer bâtir un État fort et légitime ?
L’effondrement moral au sommet
Je suis en colère parce que la moralité s’effrite, et que personne ne semble s’en offusquer. Comment ne pas ressentir de honte lorsque la plus haute autorité morale du pays se retrouve au cœur d’un scandale intime, adressant des messages déplacés à de très jeunes filles – des filles de l’âge de ses propres enfants – sans que cela ne provoque une indignation nationale ?
Comment accepter qu’il n’y ait ni condamnation ferme, ni démission, ni même un débat public digne de ce nom ?
Quand l’exemplarité disparaît au sommet, c’est toute la société qui vacille.
L’hypocrisie, nouveau critère de réussite
Je suis en colère parce que l’hypocrisie est devenue le sésame de la réussite. Dans cette Mauritanie-là , dire la vérité vous marginalise. Se taire, flatter, manœuvrer dans l’ombre : voilà les chemins tracés vers la reconnaissance professionnelle et sociale. Alors oui, je me reconnais de moins en moins dans ce pays.
Faut-il célébrer ? Ou faut-il réfléchir ?
À l’approche de cette fête de l’Indépendance, je ne peux pas célébrer. Je ne le veux pas. Car célébrer sans réfléchir, c’est cautionner. C’est accepter l’inacceptable et acter que rien ne doit changer.
Nous devons saisir ce moment non comme une simple festivité, mais comme une parenthèse de réflexion collective. Réfléchir à ce que nous sommes devenus. Comprendre ce qui nous a conduits ici. Mesurer l’étendue des injustices qui se sont accumulées, au point de fissurer le contrat moral qui unit une nation.
Une indépendance ne se célèbre pas seulement avec des drapeaux et des illuminations. Elle se célèbre avec la justice, la dignité, l’unité et l’égalité.
Tant que ces valeurs demeureront absentes, la fête aura immanquablement un goût amer. Peut-être est-il temps de choisir la lucidité plutôt que l’euphorie, pour mieux reconstruire, ensemble, une Mauritanie digne de ses enfants.
