16-10-2025 22:30 - Rapport de la Cour des comptes, des zones d’ombre…

Rapport de la Cour des comptes, des zones d’ombre…

LE RÉNOVATEUR QUOTIDIEN - Le Parti El-Insaf a récemment annoncé que le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani avait donné des instructions « fermes » au gouvernement pour appliquer, sans délai, les recommandations du dernier rapport de la Cour des comptes.

Cette déclaration, à première vue salutaire, s’inscrit dans une volonté affichée de renforcer la transparence et la rigueur dans la gestion des affaires publiques. Mais à y regarder de plus près, le traitement de ce rapport soulève des interrogations de fond : entre disproportion des réactions, flou des responsabilités et précipitation des mesures, la cohérence du discours gouvernemental mérite d’être questionné.

Selon le président de la Cour des comptes, Ahmeida Ahmed Taleb, les audits réalisés n’ont révélé « aucun cas de fraude ou de détournement ».

Les dysfonctionnements relevés relèvent, selon ses propres termes, d’« erreurs administratives, de défaillances de gestion et de manquements aux procédures ». Des anomalies donc sérieuses, mais qui s’inscrivent dans le champ disciplinaire classique, sans dimension pénale ni scandale de grande ampleur. Pourtant, la réponse politique a pris des allures d’état d’alerte.

Le Premier ministre Mokhtar Ould Djay a réuni, dans la foulée, les ministres concernés ainsi que les directeurs des institutions auditées. Une réunion de haut niveau où il leur a demandé de « proposer des sanctions appropriées » contre les responsables des manquements constatés, tout en leur confiant la tâche d’élaborer un plan opérationnel de réformes à rendre avant vendredi. Ce traitement exceptionnel, à la tonalité quasi-crisisuelle, contraste avec la nature des fautes relevées et interroge sur la logique qui le sous-tend.

Car en réalité, les sanctions disciplinaires, lorsqu’elles sont prévues par les textes, doivent être automatiquement déclenchées par les autorités compétentes — directeurs, ministres de tutelle ou inspection générale. Elles ne nécessitent ni concertation politique ni arbitrage en conseil restreint. Organiser une réunion interministérielle pour décider de mesures qui devraient, en principe, s’imposer d’elles-mêmes, révèle soit une faiblesse structurelle des mécanismes de contrôle interne, soit une instrumentalisation du rapport à des fins politiques.

Le pouvoir donne l’impression de vouloir mettre en scène sa volonté de rupture avec la mauvaise gestion, en surjouant une sévérité qui n’est pas justifiée par la gravité des faits. Cette mise en scène est d’autant plus manifeste que la demande faite aux responsables de « proposer des sanctions » introduit une subjectivité problématique. Une sanction disciplinaire ne se propose pas : elle s’applique selon des règles établies. En laissant une marge d’appréciation politique sur des fautes techniques, le gouvernement brouille les lignes entre ce qui relève du droit et ce qui ressort de l’opportunité politique.

Plus encore, l’échéance très brève imposée à la commission chargée de piloter les réformes — à peine quelques jours — trahit la précipitation du processus. Il est peu probable qu’un plan de réforme sérieux, fondé sur une évaluation rigoureuse, puisse être conçu dans un laps de temps aussi restreint. Ce calendrier semble répondre davantage à un impératif de communication politique qu’à une volonté sincère de réforme en profondeur.

Enfin, le flou demeure total sur les personnes ciblées par ces éventuelles sanctions. Aucune identité, aucun poste, aucune responsabilité n’a été publiquement précisé. Ce silence entretient une ambiguïté néfaste : soit les fautes sont trop légères pour justifier une sanction exemplaire, soit elles sont politiquement sensibles et nécessitent un traitement discret. Dans les deux cas, l’objectif de transparence annoncé en est affaibli.

En définitive, la réaction du gouvernement face au rapport de la Cour des comptes semble osciller entre gestion technique d’irrégularités ordinaires et mise en scène politique d’une rigueur affichée. À défaut de clarté sur les responsabilités, de précision sur les fautes et de réalisme dans les solutions, le pouvoir risque de transformer une opportunité de réforme en simple exercice de communication.

Pour inspirer la confiance, la transparence ne peut être sélective. Elle doit s’accompagner de cohérence, d’exemplarité et surtout d’un respect strict des principes qui encadrent la responsabilité publique.





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Commentaires (3)

  • Bilal Muezzin (H) 16/10/2025 23:39 X

    En réalité les sanctions disciplinaires sont prévues les textes et doivent être automatiquement déclenchées par les autorités compétentes voilà ce que dit le texte : Chapitre 2 : La sanction des fautes de gestion L’article 16 de la loi organique n° 2018-032 prévoit cette compétence en ces termes : « La Cour des comptes a compétence pour sanctionner les fautes de gestion et pour prononcer des amendes ou astreintes, dans les conditions prévues dans la présente loi ».

  • Bilal Muezzin (H) 16/10/2025 23:39 X

    La déclaration du président de la Cour des comptes constitue une grave erreur de communication. Cependant, cela pourrait ne pas surprendre les Mauritaniens qui considèrent ce dernier comme impliqué dans des détournements de fonds publics, ayant été démis de ses fonctions pour des irrégularités concernant les recettes des timbres de visas dans les pays du Golfe. Il semble simplement faire preuve de clémence envers ses collègues issus du même système. Personnellement, je n'attends rien de cette institution ni du système judiciaire en général, car ils partagent les mêmes pratiques et l'impunité règne. En Mauritanie aujourd'hui, le détournement de fonds est valorisé et l'enrichissement illicite est perçu comme une compétence à maîtriser face à la population. Certains affirment que la justice divine s'exercera ultérieurement, mais en attendant, l'opportunisme prévaut.

  • Bilal Muezzin (H) 16/10/2025 23:39 X

    La Cour des comptes a été affaiblie par son président qui, paradoxalement, devrait la soutenir et faire respecter son autorité. Ce dernier, en tant que premier responsable de cette institution, a minimisé le montant de 410 milliards. Bien qu'il dénonce des fautes de gestion, les fonds ne sont plus dirigés vers leur destination légitime, mais détournés par diverses institutions. Le président de la Cour des comptes apparaît donc comme le principal responsable de cette situation, se contentant de répondre aux journalistes qui l'accusent de malversations en exposant publiquement ses échecs. Si l'on souhaite connaître la destination réelle de l'argent public, tant ce président que Ould N'Diaye devraient démissionner, faute d'obtenir celle du Président de la République, dont la crédibilité s'érode considérablement.